Disney comptait sur le jeu « Epic Mickey » pour redonner un peu de modernité à sa mascotte. Dans le jeu vidéo, le principe de réalité compte moins que le storytelling… Grâce à un développeur vedette (Warren Spector) servant de caution intellectuelle, et malgré un ratage interactif, le jeu a évité les foudres de la critique agrippée à sa nostalgie ; alors qu’il s’agit bel et bien d’un échec. Explications.

La jeune, et par conséquent nombriliste, culture du jeu vidéo fait qu’il est rare de croiser dans cette industrie des personnalités dont la conversation peut sans effort s’élargir à d’autres horizons artistiques. Grâce au thème cyberpunk mature d’un jeu marquant (Deux Ex) et surtout, à une personnalité que l’on imagine enrichissante, le vétéran presque oublié du jeu vidéo Warren Spector s’est retrouvé pendant plusieurs mois en tête de liste des personnalités du jeu vidéo qu’il faut écouter et, peut-être, rencontrer. Trop heureuse d’avoir entre les mains et au bout des micros un profile presque intellectuel, sincèrement fan de Mickey, la machine marketing Disney a fait monter la mayonnaise pendant des mois à coups d’interviews préenregistrées, de coulisses complaisantes de la production en cours. Epic Mickey était programmé pour être un événement. Et le soufflé, pourtant gonflé artificiellement, a refusé de retomber même lors de la sortie fin 2010.

B.a-ba et non baba

Axiomes : si un jeu est destiné à être bon, qu’il le soit dès les premières minutes ; s’il abrite la capacité d’être interactivement agréable, qu’il le prouve dès les premières secondes ; si l’histoire et son déroulé contiennent de l’élan, des ressorts et de vrais enjeux dramatiques, qu’ils le fassent savoir dès les premières minutes… de jeu, et non par des cinématiques n’ayant aucun rapport avec la partie interactive. Dernier signe de la modernité du jeu vidéo, les dernières grosses productions comme Uncharted 2, God of war III ou Enslaved : Odyssey to the west, ont compris qu’il fallait montrer dès l’ouverture ce qu’elles avaient dans le ventre. Quitte à réguler le rythme par la suite. Malgré l’extrême application de la production revendiquée par son directeur Warren Spector, Epic Mickey rate son début, et forcément ce qui suit, dans les petites et les grandes largeurs. Les premières heures font découvrir un jeu au rythme lourdaud, au gameplay bancal, mal réglé voire souvent impraticable, et un univers visuel d’une grande platitude derrière la reproduction fétichiste de l’univers Mickey (cf. Chronic’art #70, en kiosque).

Ne pas confondre mauvais jeu et mauvais joueur

Contrairement à ce qui a été écrit ici ou là, ni un adulte peu habitué à la pratique jeu vidéo ni un enfant expert ne trouvera ici une logistique interactive fiable ou spontanément plaisante. L’appréciation des distances nécessaire à déplacer ou faire sauter le personnage de Mickey dans les décors mal agencés est régulièrement fausse. La relation physique du héros avec son environnement si importante dans un jeu d’action et de plate-formes est inconsistante et trahit le joueur. Exclusivité de la Wii familiale et tout public, Epic Mickey appartient à cette catégorie de jeux malhabiles où le joueur joue contre les rouages du jeu plutôt qu’avec. Tout obstacle programmé pour le fun cumule avec celui, involontaire, du mauvais réglage interactif. Une raideur interactive en totale contradiction avec le cœur du projet, jeu de plate-formes souple où Mickey doit asperger les décors de peinture avec un pinceau. Le triplé, geste utile, artistique puis anarchisant consistant à recolorier les décors du jeu tombe totalement à plat plombé par une mécanique interactive ni agréable ni adaptée. En 2002, Super Mario sunshine montrait déjà ce qu’il était possible de faire dans le registre des barbouillages mouillés faussement désordonnés. Et les limites techniques de la Wii ne sont pas en cause. Entre de bonnes mains, la console Nintendo est au contraire tout à fait capable de retranscrire des univers graphiques malléables, 2D ou 3D, hérités du dessin ou du dessin animé. Regarder, et surtout jouer, à Little king’s story, de Blob, Zack & Wiki, Okami, Super Mario paper et, bien sûr, les deux Super Mario galaxy, le démontrent amplement.

Presse sous influences

En général assez apte à dénoncer le rouleau compresseur marketing associé à un jeu transformé en produit dérivé de films, séries TV, comics, mangas ou dessins animés… systématiquement médiocre, la presse n’a pas su résister à la propagande tsunami d’un nouveau genre autour de Mickey. La communication s’est infiltrée sans retenue entre l’envie nostalgique d’une vraie renaissance interactive du désuet symbole Disney (le dernier et peut-être seul jeu Mickey date de 1990 : Castle of illusion sur la Megadrive de Sega), et le profil respecté du vétéran Warren Spector que personne n’est venu contester malgré une ludographie très inégale. La grande majorité des testeurs et des critiques habituels n’a pas réussi à attaquer de front les défauts du jeu Mickey. Chacun s’est d’abord cru obligé de saluer le talent et la bonne volonté de l’auteur, Warren Spector, proclamé comme tel, puis les intentions du produit en terme d’hommage historique et de réhabilitation de la souris légendaire. Après, seulement, les plus rigoureux signalent sans assez insister les problèmes de maniabilité, de caméra et d’ambiance générale plus terne qu’attendu. La presse culturelle haut de gamme s’est également laissée piéger au jeu de la séduction des enjeux plutôt que de confronter la réalité concrète du produit maquillé en oeuvre.

Culture à deux vitesses

Des quotidiens ou hebdomadaires nationaux français qu’on a connu plus exigeants ont mis en avant la rencontre (organisée, comme c’est l’usage, par l’éditeur) avec l’attachant et – n’en doutons pas – convaincant Warren Spector en omettant soit de produire en parallèle une vraie critique du jeu, soit d’équilibrer la dite critique entre les défauts qui peuvent être qualifiés de rédhibitoires dans un jeu vidéo et les qualités liées aux intentions de « l’auteur ». Car, encore une fois, dans le jeu vidéo ce qui compte est d’abord tactile avant d’être sur l’écran. Ce n’est pas parce que le jeu respecte l’iconographie Disney et contient des dessins animés vintages historiques de la souris et une jaquette audacieuse que cela en fait un jeu vidéo légitime. La moyenne des notes du référent critique américain Metacritic attribue ainsi un 73 % à Epic Mickey. Tous les spécialistes savent qu’en dessous de la note moyenne symbolique des 80 %, un jeu est considéré comme très passable. Pour un titre du calibre d’Epic Mickey, dont la pression marketing a, en plus, forcément influencé à la hausse une partie des tests, 73 % est une mauvaise note. La moyenne des avis des joueurs, elle, est inférieure et atteint aujourd’hui 7.0 après avoir plafonné à 6,4 sur 10. Un score critique de 73 % ouvertement quelconque pour une production de cette ambition et pointant du doigt un ratage que Warren Spector a néanmoins trouvé le moyen de qualifier de satisfaisant dans un commentaire de rattrapage.

Jouer sa peau

Après tant de battage et de promesses que l’on retrouve à peine dans le jeu, à 55 ans, âge canonique dans le jeu vidéo, l’homme joue visiblement la suite de sa carrière et la survie de son studio dans le succès commercial d’Epic Mickey dont les ventes mondiales n’ont pas été révélées. Selon le storytelling qu’il entretient lui-même, Spector a fait le forcing pour convaincre Disney qu’il était l’homme capable d’organiser la renaissance interactive de Mickey. Preuve de l’importance de cette promesse signée du sang des affaires, lui et son studio Junction Point sont devenus propriétés de Disney Interactive en 2007. Depuis la sortie du jeu, Graham Hopper, General Manager de Disney Interactive depuis 2002 et producteur d’Epic Mickey, a quitté ses fonctions. En septembre, c’était Steve Wadsworth, le président de Disney Interactive en personne, qui démissionnait après onze années dans la société. Après avoir fait l’acquisition du spécialiste des jeux sociaux Playdom en juillet, la branche Disney Interactive a décidé d’abandonner la production de jeux vidéo sur consoles et de se focaliser désormais sur les jeux sociaux en ligne. Malgré un chiffre d’affaire en hausse de 58 % entre 2010 et 2011, et 1,3 millions de jeu Mickey vendus aux USA (inférieur aux attentes), une réduction massive des effectifs est en cours. Le studio responsable du jeu Tron evolution a même été fermé, provocant le licenciement d’une centaine de personnes. Junction Point, le studio de Warren Spector responsable d’Epic Mickey n’est semble-t-il pas en péril à l’heure qu’il est, mais là aussi une réduction des effectifs au-delà de la contraction attendue après un projet a eu lieu. Triste constat qu’il faudra bien un jour décrypter : Disney, comme LucasArts, ne sait absolument pas, ou plus, comment concrétiser, en interne ou en sous-traitant, des jeux vidéo crédibles à partir de ses licences depuis au moins vingt ans. Noté à 58 % sur Metacritic, le jeu Tron legacy (tiré du film éponyme) signé Disney n’est que catastrophique, tout comme le dernier Star wars : Le Pouvoir de la force II de LucasArts à 61 %. A ce niveau là, en effet, Epic Mickey fait mieux.

Epic Mickey – Wii
(Disney Interactive Studios / Junction Point Studios)