« Théâtre ouvert », à Pigalle, est le paradis des passionnés de théâtre curieux de ce qui s’écrit aujourd’hui.

Le programme de la saison 1998/1999, intitulé Des auteurs en chantier, propose uniquement des textes d’auteurs contemporains -Daniel Danis, un cycle québécois, Noëlle Renaude et Christine Angot- plus ou moins connus du grand public, mis en lecture ou « en espace » par des metteurs en scène proches des écritures contemporaines : Michel Didym, Robert Cantarella ou Alain Françon. Micheline et Lucien Attoun, créateurs et directeurs de « Théâtre ouvert », privilégient durant cette saison les recherches, le « chantier », sans aucune volonté de spectacle, donc de résultat. La rareté de l’initiative mérite que l’on s’y arrête. Le lieu est mis à la disposition d’artistes que « Théâtre ouvert » a invités à travailler ensemble. Les chantiers n°8 et 9 sont consacrés à Noëlle Renaude qui est, avec Eugène Durif et Jean-Luc Lagarce notamment, l’un des auteurs accompagnés fidèlement par « Théâtre ouvert » (édition en « tapuscrit », rencontres et manifestations publiques, etc.).
Durant trois semaines (du 23/11 au 12/12/98), le metteur en scène Robert Cantarella et l’auteur Noëlle Renaude ont guidé le travail de répétition du chantier n°8 autour de Madame Ka, texte inédit -le chantier n°9 autour de Fiction d’hiver aura lieu en décembre/janvier. Madame Ka est composée d’une quarantaine de tableaux de longueur variable (et même très variable… d’une ligne à une trentaine de pages !) portant chacun un titre, par exemple: Une journée bien remplie de Mme Ka, Mme Ka ferait des kilomètres à genoux pour manger des oreilles de porc ou bien : Où l’on voit Mme Ka chercher son talon d’Achille.
L’auteur, au fur et à mesure du travail avec les comédiens, coupera, réécrira, modifiera l’ordre des tableaux. La pièce est donc réellement mise en chantier… La simple confrontation du texte avec les acteurs et le plateau permet de constater la solidité et l’efficacité dramatique de l’écriture. L’auteur voit si « ça fonctionne ». Il est arrivé par exemple que les comédiens nous lisent deux versions de la même scène ; il était frappant de constater à quel point la scène réécrite, plus économe, était plus efficace. Le « chantier » sert en quelque sorte de révélateur. L’écriture de Noëlle Renaude, incontestablement (du moins pour Madame Ka), tend à l’économie de moyens, d’où découle une certaine violence. La composition musicale de l’écriture (R. Cantarella a beaucoup insisté sur les petites musiques de chaque personnage, sur les rythmes, les différentes « partitions ») mêle en un raccourci souvent saisissant pathétique et drôlerie. On rit avec un pincement au cœur…
Durant ces trois semaines de travail, chaque mercredi et chaque samedi après-midi, pendant environ deux heures, les répétitions ont été ouvertes au public. Voilà encore une des particularités de « Théâtre ouvert » : donner à voir à qui le désire (places gratuites et non réservées aux professionnels) un travail habituellement secret -du bonheur à portée de la main… Dès la première séance publique (au troisième jour de répétition), l’atmosphère particulière du chantier est créée : les comédiens sur scène (ainsi que le metteur en scène et l’auteur) acceptent, simplement, de montrer le « pas brillant »,comme l’a appelé Robert Cantarella, c’est-à-dire la charpente de la construction, les coulisses. Les spectateurs sont conviés à entrer dans le jeu et le font avec délice. Intégrés à l’expérience, ils ne pourront pas se sentir voyeurs. A leur manière, ils participent activement : lorsqu’on leur demande de lancer quelques répliques pour grossir le brouhaha d’une foule, mais tout aussi activement et intensément, dans l’écoute, quand les comédiens jouent une scène de repas dans le noir intégral ou lors de l’enregistrement d’une bande sonore. Le public devient complice et partage avec l’équipe artistique l’éphémère de l’expérience. Si le théâtre, par nature, se nourrit d’éphémère, les répétitions exacerbent encore cette sensation de fragilité. Le public de ces « chantiers » n’est pas touché à la manière du spectateur assistant à la représentation d’ un spectacle, mais ressent plutôt l’émerveillement du passant qui entrevoit dans la rue, pendant un dixième de secondes, une scène de la vie, qui entend tout à coup une phrase enfantine, ou qui, dans un regard, de manière fugitive, saisit quelque chose d’essentiel. Il est arrivé, par exemple, au cours de ces séances publiques, que les comédiens découvrent une scène en même temps que nous (parce qu’elle avait été totalement réécrite, ou ajoutée) : ces moments -grâce aussi à la qualité des comédiens, cela va sans dire- étaient d’une richesse et d’une rareté exceptionnelles. Nous partagions l’instant, d’une manière plus intense et radicale que lors de la représentation d’un spectacle.
Citons enfin les comédiens, pivots de l’expérience. La distribution s’est construite autour de la comédienne Florence Giorgetti. Interprétant Madame Kühn dans Le Renard du nord de Noëlle Renaude, mise en scène par Robert Cantarella en 1993 (et jouée alors à « Théâtre ouvert »), Florence Giorgetti a commandé un texte à N. Renaude, afin de faire revivre ce personnage. La commande a donné naissance à Madame Ka… Autour de Florence Giorgetti s’est constituée une équipe de jeunes comédiens venus d’horizons différents, chacun acceptant de se plier à l’exercice périlleux du « chantier » : Stéphanie Farison, Jacques Hadjaje, Olivier Hussenet, Carole Maddalena, Thomas Scimena, Gaëtan Vourc’h. Les trois semaines de travail se sont achevées le 12 décembre.
Se fixant arbitrairement une durée de deux heures, les comédiens commencent à lire la pièce depuis le début, sans savoir jusqu’où ils iront. A 18 heures, l’arrêt est prononcé, qui signifie la fin de la séance publique et celle du chantier. La frustration est là, (assez délicieuse !) chez les comédiens et chez les spectateurs. Le travail restera en chantier.
Rendez-vous est pris pour le 16 janvier 1998, à 18h30 : Madame Ka sera lue (dite ? jouée ?), intégralement. La forme de cette présentation publique n’est pas encore décidée à l’heure actuelle. A vos agendas…
A noter aussi la mise en espace de Fiction d’hiver (le chantier n°9) du 12 au 15 janvier 1999 à 20h30.

Théâtre ouvert
4 bis, cité Véron Paris – 18e
Renseignements : 01 42 62 59 49