Peu de stars cette année à Deauville, mais, en marge des blockbusters attendus, une sélection de films indés globalement respectable. Compte-rendu de la 27e édition du festival du film américain.

L’édition 2001 du festival de Deauville aura été marquée par l’absence relative de stars et de réalisateurs de renoms: Spielberg a laissé Haley Joel Osmond défendre seul la présentation de A.I. , l’équipe du dernier Abel Ferrara était absente et Johnny Depp s’est contenté d’un passage éclair pour Blow, le temps d’une morne conférence de presse (contre Altman, Eastwood et Kitano l’année dernière). Les festivaliers ont malgré tout pu suivre la présentation des films dans un calme relatif et sans bousculades, et apprécier une très honnête sélection de films indépendants, escortée par les avant-premières dépêchées à grands renforts promotionnels par les majors.

Que jury et public se soient réconciliés dans un consensus univoque autour de Hedwig and the angry inch (qui remporte à la fois le Grand Prix et le Prix du public) n’empêche pas de saluer une sélection plutôt relevée. Malgré une certaine uniformité (et surtout, l’absence dans la compétition de films vraiment innovant sur le plan filmique), il y eut cette année quelques bonnes surprises. Tout d’abord, In the bedroom, premier film de l’acteur Todd Field, analyse sensible et intense des conséquences, sur un couple d’américains moyens, du meurtre de leur fils. Ce récit puissant, dont les temps morts sont aussi des temps forts, est servi par une irréprochable direction d’acteurs, et révèle chez Todd Field un vrai tempérament de metteur en scène, qualité rare dans une sélection où le scénario était bien souvent meilleur que le film, et les auteurs mieux représentés que les cinéastes.

Dans un tout autre genre, Ghost world (Prix du jury) de Terry Zwigoff est une réjouissante chronique adolescente adaptée d’une bande dessinée. Tora Birch mérite amplement le prix d’interprétation qui lui a été décerné, tant la jeune comédienne porte le film à bout de bras, et parvient à rendre attachant son personnage d’ado insatisfaite. Aussi mal à l’aise et désenchantée que le jeune héros de Storytelling, la fable caustique de Todd Solonz présentée dans le « panorama du cinéma indépendant ». Ce petit bijou d’humour à froid, par le réalisateur de Happiness, est une variation acerbe et inventive sur le malaise de la jeunesse américaine, celle des « suburbs » gazonnées, aux abords de villes banales. Ce cadre est aussi celui du dernier film de Larry Clark, Bully, lui aussi présenté dans le panorama.
Le réalisateur de Kids s’est emparé d’un fait divers sordide : une bande d’ados dépravés complotent le meurtre de l’un des leurs, un jeune homme violent qui oppresse son meilleur ami. Filmé avec une rigueur exemplaire, Bully montre la dérive schizophrène d’une poignée de teenagers de la middle class, tous ravagés par l’inculture, vivant de sexe, de surf, et d’adrénaline. Critiqué pour son message alarmiste, le film dissèque pourtant avec une grande impartialité et sans la moindre complaisance les symptômes d’une crise profonde, dont les effets meurtriers sont hélas monnaie courante aux Etats-Unis. Fallait-il rappeler aux festivaliers bougons que l’Amérique ici fêtée pour son cinéma est aussi celle qui a inventé les déjections culturelles, et laissé se propager dans les failles du système éducatif une sous-culture en partie responsable de ces dérives ?

Outre quelques nanars ultra produits (l’indigeste Opération Espadon, en salle cette semaine) et le premier « blonde movie » (Legally blonde, comédie aussi inepte que malicieuse et qui a le mérite d’inaugurer un genre), le festival du cinéma américain laissait une place à deux de ses grands outsiders : Stanley Kubrick et Michael Cimino. Le premier, moins insensible aux honneurs qu’on le pensait, aurait peut-être daigné traverser la manche pour être fêté par la profession sur le tard. En plus d’une rétrospective, un docu réalisé par Jan Harlan (beau frère et collaborateur du cinéaste) retrace pieusement la carrière de l’émigré le plus célèbre de Hollywood, dissipant quelques mystères sans vraiment parvenir à pénétrer sa méthode de travail. S.K, a life in picture est donc un long « digest » de 2h30, plus un hommage documenté qu’une véritable exploration de l’oeuvre. Quant à Michael Cimino, le réalisateur maudit de Heaven’s gate, il venait recevoir un prix pour son roman Big jane, publié chez Gallimard. Un livre picaresque en forme de road movie truculent et émouvant. On y retrouve le lyrisme abrupt de Cimino, ses personnages de losers magnifiques, trahis par leur pays mais animé d’un même amour charnel pour leur terre. Ils sont à l’image de Cimino lui-même, immense cinéaste classique, fordien, à la dégaine de cowboy efféminé, qui promène encore sa tristesse, marqué par des années d’un rejet aussi injuste que violent. Malgré une cérémonie brève et engoncée, c’est les larmes aux yeux qu’il a remercié la France pour « l’avoir soutenu depuis 25 ans ». Phrase banale, mais dont l’intonation souffrante en disait long sur ce que l’industrie hollywoodienne peut réserver à ses récalcitrants. Le cinéma américain a toujours gagné à l’auto-critique, et Deauville a su pour une fois accorder une place à des auteurs plus subversifs (Larry Clark, Solontz, Plympton), qui ont su trouver une multitude d’alternatives aux canons hollywoodiens, résistant à une logique consumériste et d’exportation pour créer une vraie cinématographie national. Alors oui, dans ce cas, merci la France…