Depuis l’effet d’annonce et sa présentation à l’E3 de Los Angeles, l’été dernier, tout le monde en parle (sans rien savoir de précis à son sujet) : David Bowie, mais aussi son épouse Iman et le guitariste attitré du Mince duc blanc, Reeves Gabrels, ont participé à l’élaboration du jeu The Nomad soul. Entretien avec David Cage, le responsable de Quantic Dream, l’équipe française à l’origine du projet.

Chronic’art : Comment avez-vous réussi à convaincre David Bowie de participer au projet The Nomad soul ?

Ça s’est passé très simplement. On lui a juste montré le jeu. Je crois que David a été attiré par l’approche créative d’Omikron (à l’origine, le jeu de Quantic Dream devait s’intituler « Omikron : The Nomad soul », mais pour des raisons juridiques -Omikron est le nom d’une société d’informatique existante, pas trop du genre partageuse-, le jeu sortira sous l’appelation The Nomad soul, tout simplement, ndlr), par l’idée d’un univers virtuel dans une dimension parallèle. Je pense également qu’il attendait un projet comme celui-là depuis un moment. Finalement, j’imagine que nous avons eu la bonne idée avec la bonne personne au bon moment.

Pourquoi avez-vous pensé à lui ?

Bowie a beaucoup joué avec ses différentes personnalités au cours de sa carrière. Son approche correspondait assez à l’idée de la réincarnation virtuelle utilisée dans le jeu. Et puis, il semble venir à sa manière d’une dimension parallèle. Je crois aussi que le fait qu’il soit intéressé aux nouvelles technologies a certainement joué un rôle dans sa décision de s’impliquer dans le jeu.

Envisagiez-vous, au départ, de collaborer avec d’autres artistes ?

Nous avions approché Björk, qui, elle aussi, aurait peut-être pu imaginer la musique dans une dimension parallèle, mais elle ne souhaitait pas travailler pour un jeu, quel qu’il soit. Nous étions en contact également avec Garbage, mais nous avons tout arrêté dès que Bowie nous a donné son feu vert. Il était vraiment l’artiste que nous souhaitions pour Omikron. Je garde dans l’idée de travailler un jour avec Björk et le groupe Garbage, des artistes que je respecte énormément.

Comment s’est déroulée votre première rencontre avec le sieur Bowie ?

Très simplement. Nous nous sommes rencontrés chez Eidos, l’éditeur du jeu, à Wimbledon. Il était très souriant, très agréable, très disponible et à l’écoute. Il a regardé, écouté, posé quelques questions. Nous avons tout de suite senti le vif intérêt qu’il portait au projet, même si celui-ci était encore loin d’être terminé.

Connaissiez-vous ses albums ?

Pas très bien en fait. Tous les gens autour de moi connaissaient tout de sa carrière, ainsi que les textes de ses chansons. Pour ma part, je ne connaissais que ses titres les plus connus. J’avais particulièrement apprécié Hearts filthy lessons. Je crois que le fait de ne pas être un fan a grandement facilité nos relations.
Finalement, jusqu’ou David Bowie a-t-il accepté d’aller, avec vous, dans ce projet ?

Au départ, nous n’espérions avoir que le droit de reprendre certains de ses vieux titres, et éventuellement, un titre original. Lorsqu’il nous a dit que non seulement il était prêt à écrire un album complet basé sur l’univers du jeu, mais qu’en plus il pourrait jouer un rôle dans le jeu avec sa femme Iman, honnêtement, on y croyait pas ! Avec Reeves Gabrels, son guitariste-compositeur, ils ont finalement écrit une grande partie des musiques du jeu, et leur implication en temps et en investissement personnel a vraiment été au-delà de ce qu’on aurait pu imaginer.

Justement, qu’en pensaient Reeves Gabrels et Iman ?

Comme Bowie, ils ont tout de suite accroché tous les deux. Reeves, notamment, a accompli un énorme travail musical.

Concrètement, quelle forme a pris la participation de Bowie dans la conception du jeu ?

Bowie et Reeves ont écrit une grande partie des musiques du jeu (près de deux heures de musique instrumentale, ndlr) ainsi que huit chansons. Bowie a joué le rôle de Boz, le Rider, et nous avons capturé la chorégraphie d’Edward Lock (son chorégraphe canadien, ndlr) pour les concerts virtuels du jeu.

Vous indiquez sur votre site que les titres du jeu sont assez éloignés des dernières productions de Bowie. Quel style de musique a-t-il choisi de composer pour coller à l’atmosphère de The Nomad soul ?

A l’opposé de l’univers assez technologique et froid d’Omikron, Bowie a choisi d’écrire des chansons très mélodiques, très acoustiques. Ce choix nous a tout d’abord surpris, nous nous attendions à quelque chose de plus bizarre ou malsain, mais je suis personnellement très heureux qu’il ait fait ce choix-là au final. Il apporte quelque chose de plus au jeu, plutôt que d’illustrer simplement ce qui s’y trouve déjà.

En marge de la musique, David Bowie intervient donc personnellement et virtuellement dans le jeu. Ainsi que Reeves Gabrels et Iman. A l’origine, qui a soumis cette idée ?

L’idée vient d’une personne de chez Eidos. Un fan de Bowie de la première heure qui m’a rappelé à plusieurs reprises que Bowie était un acteur extraordinaire. Nous avions aussi dans le jeu un personnage dont nous n’étions pas très satisfaits, un personnage très important. Lorsque nous en avons parlé à Bowie, il a tout de suite été intéressé par l’idée de devenir un des premiers acteurs virtuels de l’histoire du jeu vidéo.

Quel(s) rôle(s) joue Bowie, Gabrels et Iman dans le jeu ?

Bowie joue deux rôles distincts dans le jeu : il est Boz, un être virtuel vivant sur le réseau, et il est le chanteur d’un groupe appelé « The Dreamers ». Aucun des deux n’est un personnage incarnable. Reeves et Gail Ann Dorcy (sa bassiste) constituent le reste du groupe. En revanche, Iman est un personnage que le joueur pourra incarner à un moment de l’aventure.
Quel est le concept du jeu ?

The Nomad soul est un jeu d’aventure qui se déroule dans un univers parallèle. Le joueur y est complètement libre de se déplacer et d’agir comme bon lui semble. Il peut parler à n’importe quel personnage, utiliser des objets, explorer, combattre à mains nues ou avec une arme, lancer des sorts, piloter des véhicules anti-gravité. Le concept de départ était de réaliser un film interactif en 3D temps réel dans lequel le joueur serait complètement libre de ses mouvements. Le jeu se déroule dans une ville futuriste à la Blade runner, avec des centaines de passants et de véhicules, des magasins, des appartements. L’autre concept important est la réincarnation virtuelle. Lorsque le joueur meurt, son âme se transfert à l’intérieur de la première personne qui touche son cadavre. Ce qui signifie qu’à l’intérieur du même jeu, on peut incarner plus de 30 personnages différents, chacun d’eux ayant des caractéristiques et des aptitudes propres. The Nomad soul est une formidable aventure épique, un monde réel dans une dimension parallèle. Un nouveau genre de jeu, qui constitue peut-être un des premiers pas pour rapprocher véritablement le jeu vidéo du cinéma.

Quelles innovations apporte-t-il dans son genre ?

Une grande attention a été portée à l’écriture du scénario et à la construction de l’univers. La totale liberté dans un immense univers 3D est aussi une des choses dont nous sommes le plus fiers, avec le design graphique original. La dimension ésotérique avec la réincarnation virtuelle apporte également quelque chose de nouveau. Je crois que The Nomad soul constitue un ensemble d’éléments qui en font un produit original et différent.

David Bowie y a-t-il joué ?

Je l’ignore. Il nous a en tout cas adressé ses félicitations lorsqu’il a vu les concerts virtuels.

Quel bilan faites-vous de cette collaboration avec une rock star ?

Extrêmement positif. Bowie nous a prouvé qu’on pouvait à la fois être une rock star avec énormément de talent, et en même temps être professionnel, impliqué, enthousiaste, respectueux du travail des autres. Bowie nous a tout d’abord apporté son talent de musicien et d’acteur pour le jeu, et c’était là notre motivation première en collaborant avec lui. Il nous a aussi apporté beaucoup de presse, bien sûr, et l’attention des médias grand public qui ne se seraient peut-être pas autant intéressés au jeu sans sa collaboration.

Que retenez-vous du personnage ?

Sa simplicité et sa disponibilité. Son professionnalisme aussi -il est notamment très ponctuel. Je crois que le fait d’être une rock star n’est finalement pas très amusant. Par exemple, il est impensable pour lui de marcher tranquillement dans la rue sans se faire accoster.

Aimeriez-vous proposer, plus tard, un nouveau projet de jeu à Bowie ? Ou à un autre artiste ?

Oui, c’est l’un de nos axes de développement pour les années à venir. Nous souhaitons développer des collaborations avec des artistes internationalement connus, que ce soient des musiciens, des acteurs, des réalisateurs ou des scénaristes.

Allez-vous le revoir ?

Certainement, nous sommes restés en contact.

Propos recueillis par et

Lire notre test de The Nomad soul