A l’occasion de la sortie de leur dernier opus un brin décevant, explications avec Tjinder Singh et Ben Ayres, leaders de Cornershop, à propos de leur engagement citoyen, de leur label, où il est question de reggae, d’electro et même de… disco !

Chronic’art : Il a été question que vous arrêtiez tout après le dernier album, When I was born for the 7th time. Qu’est-ce qui vous a donné envie de continuer ?

Tjinder Singh : On a failli arrêter, mais c’était surtout pour des raisons économiques. On a eu envie de tout plaquer, mais on a négocié et ça nous a permis de continuer. Artistiquement parlant, on avait encore des choses à dire. On avait juste des problèmes financiers et des soucis avec l’industrie du disque. Et puis Brimful of Asha a très bien marché, ça a été une aubaine.

Vous êtes sur votre propre label ?

Non, on a créé un label, sur lequel on produit Clinton. Mais pour Cornershop, on est sur Wiija. Sur notre label, Meccico Records, on s’occupe, entre autres, d’un groupe qui s’appelle The Toes et qui marche plutôt bien. Je ne sais pas si Clinton reprendra du service parce que pour le moment, on se concentre sur Cornershop. Par contre, on a changé de maison de disque en France. Pour l’album précédent, on était chez Play It Again Sam (PIAS) et maintenant, on est chez Virgin, enfin Labels précisément

Vous accordez une attention particulière au fait de ne pas être chez une major ?

Complètement. On essaie de maîtriser un maximum de données. On est actifs dans la conception des clips, la production, la post-prod, etc. On n’a pas de manager, on se gère tout seuls. Parfois, quand on est débordés, on délègue certaines choses à notre agent mais c’est rare. On fait en sorte que rien ne nous soit imposé. La chanson Rocky I to Rocky III peut être interprétée comme une critique de l’industrie du spectacle, du cinéma en général, du disque en particulier. C’est une métaphore d’Hollywood qui a fait un film, Rocky, puis, un deuxième et un troisième épisode uniquement pour faire de l’argent. D’un point de vue artistique, il est évident qu’ils auraient mieux fait de s’arrêter. Nous aussi, peut-être, mais on continue à produire ! (rires). L’industrie musicale est une machine à broyer : elle fabrique de toutes pièces des boys bands et des girls bands qui ne riment à rien. D’un autre côté, on voit émerger des groupes qui échappent à ce formatage consensuel comme les White Stripes ou les Moldy Peaches, qui ont une attitude quasi-punk par rapport au système.

Quel était votre ambition, pour cet album ?

On voulait progresser, faire un disque meilleur que le précédent, tout simplement. On a beaucoup travaillé l’aspect production. Le son est plus rond, plus abouti. Nous sommes très heureux du résultat. Et les quelques réactions que l’on a eues jusqu’à présent nous confortent dans cette impression.
La dernière fois, vous avez travaillé avec Paula Frazer, Dan the Automator, Allen Ginsberg. Cette fois-ci, quelles ont été vos collaborations ?

Otis Clay fait les voix sur le premier titre, Paul McGuigan, le premier bassiste d’Oasis, Rob Swift joue sur le titre reggae, Noel Gallagher sur Spectral mornings.

Et quelle a été votre démarche ? On a l’impression que vous vouliez aborder tous les styles musicaux -rap, soul, reggae, dance, pop, easy listening…

Ben Ayres : C’est drôle, c’est pas la première fois qu’on nous fait la remarque. Non, on n’a pas vraiment eu cette volonté de revisiter l’histoire de la musique et de s’essayer à tous les genres. C’est venu tout seul. Le résultat est ce qu’il est. Il n’y a aucune préméditation, aucune stratégie. On a essayé de faire le meilleur album possible avec toutes les idées qui nous venaient à l’esprit. Il ne faut pas chercher une quelconque approche volontariste de notre part. On a toujours travaillé de la même manière et on a toujours composé des morceaux très différents les uns des autres.

Comment est-ce que vous avez fait pour réunir tous les morceaux, et former ainsi une unité ?

Tjinder Singh : On s’est basé sur cette image de livres sur une étagère, avec des blocs aux deux extrémités. C’est pour ça qu’on a commencé un morceau en intro et qu’on l’a terminé en clôture (« outro »). On est paresseux : on a coupé la chanson en deux, et on a fait en sorte qu’elle encadre l’album, pour créer une sorte de symétrie. Le dernier titre porte bien son nom : on l’a appelé Bonus track et on l’a ajouté pour que les gens en aient pour leur argent. C’est ma copine qu’on entend. On a samplé des enregistrements de discussion avec Stéphane, après une soirée bien arrosée. C’est pour ça que c’est en français et que ça donne ce résultat plutôt bizarre.

Vous avez déjà choisi le single ?

Oui, c’est Lessons learned from Rocky I to Rocky III. C’est un titre un peu rigolo, qui parle littéralement de ce qu’on peut apprendre en regardant Rocky, des épisodes I à III. Les paroles ne sont pas difficiles à comprendre, même pour un non-anglophone. Enfin, je crois.

Vous avez la réputation d’écrire des textes engagés. C’est le cas pour ce nouvel album ?

Les chansons ne sont pas toujours engagées mais je me considère comme quelqu’un de profondément engagé. Politiquement, artistiquement, socialement. La seule chose qui se soit amoindrie, c’est mon implication religieuse. J’étais beaucoup plus concerné par la religion il y a quelques temps. Aujourd’hui, je me bats surtout sur le terrain politique. Après des années de tournées, j’ai passé ces trois dernières années chez moi, à Londres, et je me suis impliqué dans la vie de mon quartier. Pour citer juste un exemple, je me suis battu pour que la bibliothèque ne soit pas fermée. De manière générale, j’aime bien me plaindre, m’opposer, défendre ce qui me tient à coeur. En ce moment, je suis de près les élections locales. Je suis remonté à bloc contre les élus qui font vraiment tout et n’importe quoi.
Votre label vous prend aussi beaucoup de temps ?

Oui, c’est le moins qu’on puisse dire. Ce n’est pas un gros label mais c’est agréable d’apporter sa contribution à la musique, d’aider des artistes, de produire. C’est un vrai travail de défrichage. Mais nos considération sont purement artistiques parce qu’on perd de l’argent et qu’on y consacre beaucoup de temps ! (rires)

Ben Ayres : On s’occupe de tous les aspects : les relations avec la presse, les radios, la distribution, c’est très enrichissant, humainement parlant.

Vous avez d’autres activités artistiques ?

Tjinder Singh : On s’intéresse aux clips et à ce qui tourne autour de la musique mais on n’a pas le temps de participer à tout. On a organisé un happening autour du titre Spectral mornings qui a été mixé pendant 24 h. Sur l’album, il dure 14 minutes, ce qui est déjà remarquable en soi et le jour de l’ouverture du site, il a duré une journée et une nuit, avec une retransmission intégrale sur Internet.

Ben Ayres : On surveille de près la dimension visuelle, les projections pendant les concerts, etc. On respecte le travail des gens qui nous entourent, on leur fait confiance.

Vous êtes attaché à votre site ?

Tjinder Singh : On a été très impliqués dans sa construction. Je ne voulais pas qu’il soit difficile d’accès, avec un nom d’utilisateur à entrer, etc. Je préfère qu’il soit purement informatif, avec des news, la discographie, rien de trop fantaisiste.

Comment est-ce que vous abordez la tournée ?

Elle a déjà commencé ! On a joué en Allemagne, en Belgique et à Paris. On s’occupe de la promotion en même temps. On est sept sur scène. On reprend quelques anciens titres et on joue quatre morceaux du nouvel album : Heavy soup, Staging the plaguing of the raised platform, Lessons learned from Rocky I to Rocky III et Spectral mornings.

Est-ce que vous prenez une direction plus dancefloor, sur scène, dans l’esprit du titre Music plus 1 ?

Non, on garde les mêmes recettes… On aime bien des groupes comme Daft Punk -si c’est à eux que tu penses- mais on ne fait pas des concerts comme les leurs. En ce moment, je serais même plutôt influencé par le reggae… On a des morceaux basés sur les guitares, d’autres sur les instruments traditionnels hindous, la cithare, les percussions et on alterne.

Vous choisissez vos premières parties ? Vous aimeriez tourner avec des personnes comme Nitin Sawhney ?

Sur cette tournée, les premières parties sont constituées de groupes locaux ou choisis par les organisateurs. Et en ce qui concerne ce que les journalistes ont appelé « l’Asian underground », je pense que ces groupes -qui sont venus après nous- font des choses très bien, mais nous ne nous côtoyons pas.

Et si vous pouviez choisir de jouer en première partie d’un groupe ou d’un musicien plus connu, ce serait lequel ?

Ben Ayres : Elvis. Dommage qu’il soit mort !

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