Chilly Gonzales nous reçoit seul dans une galerie parisienne le lendemain de son concert avec Peaches et Bitch Lap Lap, une performance trioliste sur fond de projection vidéo et d’electro hip-hop qui a pourtant laissé le public endimanché de La Cigale un peu perplexe. Hier sublimement ridicule, Gonzales apparaît aujourd’hui parfaitement affable et calme, ayant laissé son personnage de « Chilly Gonzales le Supervilain » au vestiaire. Enfin, presque.

Gonzales : Tu as une caméra ?

Chronic’art : Non, juste un enregistreur MD.

Sinon, j’aurais mis mon costume de scène. (Il ouvre sa chemise rose et me montre les poils de son torse.)

… J’en ai plus que toi. Hier soir, ton concert a fait l’effet d’une blietzkrieg électro-dadaïste.

En fait, c’est plus du spectacle à l’ancienne. Aujourd’hui, l’abstraction, le dadaïsme et l’absurde font partie de notre vie quotidienne. Je ne les considère pas du tout comme des éléments futuristes. Nos concerts sont plus le fruit des circonstances que d’une quelconque théorie philosophique. J’ai simplement été frustré de jouer avec des musiciens. Ils ajoutaient du stress au travail et ça ne menait nulle part. J’ai donc abandonné cette voie et je me suis tourné vers la musique électronique, avec laquelle je peux tout contrôler. Mais quand j’ai fait mes premiers concerts, je me suis retrouvé seul sur scène avec des machines. Comme je ne voulais pas reprendre de musiciens, j’ai dû alors devenir un entertainer. La nécessité a dicté mes choix artistiques.

A La Cigale, tu as fait un freestyle en français. Tu pourrais le refaire ?

(Retranscription approximative :) « Chilly Gonzo comme le théâtre, je te fais battre, un deux trois quatre, le grand juif des juifs, Gonzales arrive, vive le Québec libre, surréal de Montréal (et j’ai dit : surréal de la Cigale), (…) avec le grand bec, avec le circonflexe, je ne suis né avec toi, hier sans toi, quoi ? je suis le roi de l’endroit. » Je l’ai écrit pour un remix d’un titre d’Autour de Lucie. C’est mon seul rap en français.

Tu as parfois utilisé d’autres instrumentaux que ceux de The Entertainist.

J’ai oublié le CD des instrumentaux de Patrick C. à Berlin. Heureusement, nous avions des beats baroques que j’ai faits récemment. J’ai passé toute une nuit à l’hôtel à essayer de voir quelle musique fonctionnait le mieux avec telle et telle chanson. Finalement, ça a bien marché, surtout So what the fuck.

Tu as joué peu de mélodica.

Il y a mille façons de faire de la musique. L’année prochaine, je vais probablement faire des concerts de piano. Les gens verront alors une nouvelle facette de ma musique. Aujourd’hui, je préfère attirer l’attention du public avec mon corps et ma personnalité, en tant qu’instruments.

Des concerts de piano. C’est une blague ?

Non, non ! J’ai joué du piano sur mon premier album. Mon premier album était doux et les concerts agressifs. Maintenant, j’ai un album agressif, alors je vais faire des concerts plus calmes

C’est assez paradoxal.

Gonzales über alles représentait la fin d’une période. Je suis ensuite allé en Europe pour devenir Chilly Gonzales le Supervilain et j’ai sorti The Entertainist, un disque qui se résume à moi parlant de moi-même. Tout se retrouve naturellement dans ma musique. Si je me retrouvais seul dans un autre environnement, j’aurais d’autres influences, je reviendrais à une musique plus profonde.
Tu voudrais tourner un film de Gonzales le Supervilain ?

Pas pour le moment. Je vais me présenter à la présidence du Berlin Underground en 2001. Sinon, la plupart de mes clips vidéo sont basés sur des documentaires C’est le cas de la vidéo de The Worst MC. On nous avait engagés dans une maison de retraite à Londres pour faire le spectacle de Noèl pour 40 personnes âgées : on leur a appris à rapper.

Tu recherches la célébrité ?

Je ne veux pas devenir célèbre. Gonzales n’est qu’un personnage, ce n’est pas moi. Je ne recherche que la profondeur et l’excellence. Pour faire ce métier, je dois évidemment m’exposer publiquement, mais je garde ma vie privée totalement en dehors de Gonzales. Ce personnage est une protection, un mur. Les gens ne s’en rendent pas forcément compte mais ça m’est égal. Je sais qui se cache derrière Gonzales.

Tu utilises beaucoup de slogans dans tes chansons : Music is cheap, so mine shall be.

Je parle de l’usage de la publicité à des fins personnelles. Regarde le pouvoir que la publicité a acquis grâce aux slogans. Je suis surpris que peu de musiciens aient compris qu’ils pouvaient facilement utiliser la publicité à leur profit. Peaches travaille beaucoup sur les slogans. Ses chansons sont composées de deux ou trois slogans. Il n’y a aucune variation. Elle est vraiment dans ce truc. Moi j’écris surtout des vers, je rappe, je parle beaucoup.

(Je sors le CD promo.)

C’est dommage que tu n’aies pas le livret du CD ! J’en suis vraiment fier. Quelqu’un a le livret ? Non ? Nous l’avons fait, ma copine et moi. C’est vraiment drôle, il y a beaucoup de photos de mon safari en Afrique. Des photos incroyables. C’est le Gonzales National Geographic goes to Africa.

Un vrai safari ! Vraiment ?

Oui ! (rires) je suis sérieux ! En juin dernier, je suis parti deux semaines faire un safari. C’était un safari de luxe, mon frère nous avait invités avec mon père. J’ai apprécié, mais j’ai culpabilisé pendant tout le voyage. Je parle de ce safari dans Higher than you. Je l’ai enregistré le lendemain de mon retour d’Afrique. C’est la dernière chanson que j’ai faite pour l’album. C’est vraiment une nouvelle direction. J’ai eu une grande révélation en Afrique ! Je me suis retrouvé ! (Rires.) Maintenant, je vais me produire tout seul. Je sais dans quelle direction aller.

Tu as des connexions avec la scène rap ?

Le rap m’a beaucoup influencé mais je n’ai pas de contact avec le hip-hop, excepté les disques que j’écoute. Je m’intéresse surtout aux personnages : ODB, Cypress Hill. Certaines personnes considèrent que le rap est la seule musique valable aujourd’hui mais il ne vaut pas mieux que les autres styles de musique. Le rap est aussi conservateur que le reste.

Tu aimes l’image que les médias véhiculent de toi depuis ton exil à Berlin ?

C’est une revanche sur l’époque où j’habitais au Canada. La presse était alors intéressée par tout ce qui venait de l’étranger. A Toronto, personne ne nous soutenait, Peaches, Mocky et moi. Puis, je suis parti à Berlin et je suis devenu célèbre. Je profite du même système médiatique qui m’a ignoré au Canada. J’en suis devenu le produit. Ca m’amuse beaucoup.

Des projets ?

Je veux remixer Etienne, Etienne de Guesh Patti. Un jour, elle m’a dit que tout le monde la poussait à faire un remix de cette chanson mais qu’elle s’y était toujours opposée. Je lui ai dit : « Quoi ? Je veux la remixer ! » Mais je ne sais pas si mon remix sortira, c’est elle qui décidera.

Lire notre critique de The Entertainist