Avec Le Projet Jean Osinski, le chômage a enfin son musée. Qui est Jean Osinski ? Il a vingt-sept ans, vit à Forbach, 175, rue Nationale, 3e étage porte droite face. Que fait Jean Osinski ? Rien. Un rien considéré comme un des beaux-arts par Jean-Michel Bruyère, qui a mis en scène ce rien sur une durée de cinq mois, avec la participation inactive de l’intéressé.

Conçu comme un contrepoint à l’exposition L’Aventure de travail, organisée par la Mission 2000 sur l’ancien bassin houiller de la ville minière (dévastée par le chômage depuis les années 80 et la fermeture des puits), Le Projet Jean Osinski offre au chômage son premier musée. Voici comment.

Pour voir Jean Osinski, il faut passer quelques seuils. Le premier consiste en un séjour dans l’une des quatre salles d’attente disposées dans la ville : sorte d’Abribus au design sobre de couleur bronze, surmonté du logo Musée Jean Osinski, en lettrage fin gravé dans la masse. On se rend ensuite dans une « web chapelle », où un homme, vêtu comme un employé de pompes funèbres, vous invite à vous recueillir devant la « non-activité de Jean ». Sur un écran géant, filmé en direct et en plan fixe, le visage d’un jeune homme impassible, dégageant une invraisemblable force d’inertie, vous regarde fixement. Le guide vous invite ensuite à traverser la rue pour la visite du musée proprement dit. On pénètre à sa suite dans un immeuble HLM, pour atterrir dans l’appartement « désactivé ». La pièce à vivre est morte. Transformée en vitrine, elle contient, soigneusement empilés, les meubles, disques et livres de Jean, dont la nomenclature complète est inscrite sur la vitre. Il en va de même pour le placard, où sont pliés slips, chaussettes et T-shirts. Dans sa chambre, trois sièges en Plexiglas invitent le visiteur à contempler la couche de Jean, lit à une place et couverture en pilou, avec, au pied, bouteilles de bière vides et cendrier plein. Dernière station : un espace vide. Jean Osinski est assis face à un écran surmonté d’une caméra qui reproduit sa propre image. Cette image est diffusée en continu sur le Web. Attention : ce site est programmé pour désactiver les ordinateurs des consultants. Sur le bas de l’écran, défilent avec une lenteur exaspérante les extraits de son journal intime : « je me suis levé à 11h34, je suis allé aux toilettes, j’ai tiré la chasse d’eau, j’ai trouvé un filtre pour le café », etc., ad libitum.

Ce qui pourrait tourner au procédé laborieux fonctionne au-delà de toute désespérance. Cette intrusion sophistiquée dans l’univers d’un sans-emploi renvoie le visiteur dans sa sphère intime, où se tapit tout à coup peur de l’ennui et du vide. A preuve, les réactions de plus en plus virulentes, subies tant par la municipalité que par le théâtre, de la presse locale et de l’opposition municipale, scandalisées (ou feignant de l’être) que l’on puisse payer quelqu’un « à ne rien faire ». Jean s’en fiche. Une fois son musée fermé, il file au bistrot, s’installe au comptoir et joue au Solitaire.

Le Carreau, Scène nationale de Forbach
Renseignements : 03 87 84 64 30
Jusqu’au 26 octobre 2000

Jean-Michel Bruyère a créé, il y a deux ans, Poème à l’infect, avec des enfants venus de Dakar. La comédienne Anouk Grinberg lira des fragments du « Journal intime de Jacques Osinski » sur la scène du Carreau, le 26 octobre 2000.