Tout juste rentré de Venise où Le Parfum de la dame en noir était présenté, Bruno Podalydès revient avec nous sur la genèse et les trucs et astuces du film, deuxième volet des aventures de Rouletabille (incarné par son frère Denis), le héros créé par Gaston Leroux. Après Le Mystère de la chambre jaune, Le Parfum… fait merveille par l’idée de cinéma d’auteur populaire qu’il porte, si rare, si précieuse.

Chronic’art : Vous avez entamé l’écriture du Parfum de la dame en noir pendant la post-production du Mystère de la chambre jaune. Comment s’est déroulée la transition ?

Bruno Podalydès : Au départ, c’était peu rassurant car le roman est fastidieux, moins bon que le premier, plus difficile à manier. Mais l’adaptation s’est très bien passée. Justement parce que j’étais en plein montage du Mystère…, donc en pleine intimité avec les acteurs, leurs gestes. Quand on monte un film on a une perception aiguë du jeu des acteurs. Je baignais dans la voix de Michael Lonsdale et les gestes de Pierre Arditi, je les avais bien en tête et cela a rendu les choses plus faciles à l’écriture. Je n’avais pas l’angoisse du scénariste seul face à sa page blanche, j’étais encore dans l’élan, très agréable, de la fabrication. De plus, ma méthode personnelle d’adaptation étant désormais bien rodée, je suis allé directement vers ce qui me plaisait le plus dans le roman, je n’avais pas de scrupules à déplacer des répliques, à échanger des dialogues. Bref, j’ai fait cette adaptation avec un sentiment de grande liberté.

On imagine par contre que le montage du film, assez complexe, a dû être davantage compliqué.

En effet, le montage était une épreuve, une deuxième écriture un peu douloureuse. J’étais constamment tiraillé entre le comique et l’intrigue policière, et je ne voulais renoncer ni à l’un ni à l’autre. L’équilibre était délicat à trouver, car dans ce domaine un rien est de trop, c’est un dosage délicat. Si tout tournait à la rigolade, le film perdait son squelette et les spectateurs auraient décroché. Et d’un autre côté, cela m’ennuyait beaucoup que l’on ne s’en tienne qu’au romanesque et à la relation entre Rouletabille et ses parents. Je tenais beaucoup à tous les personnages entourant le héros.

On sent que c’est un film de montage, davantage au fond qu’un film de récit.

C’est vrai. Le découpage du Mystère… est pédagogique, puisqu’il doit expliquer le mystère. Et il impliquait un montage classique d’enchaînement. On suivait le cours d’une pensée, donc le rythme de chaque scène était celui du dialogue. Tandis que dans Le Parfum…il y a beaucoup de temps morts, de scènes de repos qui font suite à des scènes qui ne sont pas tant des scènes d’action que ça. Du coup, il y a du point de vue du rythme une sorte de nonchalance qui peut vite être irritante dans le cadre d’une intrigue policière. On me reproche parfois de me moquer de l’intrigue, ou de m’en désintéresser. Ce n’est pas vrai. Si je me permets des digressions, avec le sous-marin par exemple, c’est que je sais que pendant ce temps le récit court, avance. Donc je ne me moque pas du tout du récit, au contraire je lui fais une entière confiance.
Le récit d’ailleurs joue plus sur un effet de surplace et de statu quo que sur un effet de dominos, d’enchaînement.

Il y a peu de mouvement, tout se prépare, c’est une sorte d’immobilisme en suspension. Il y a une énergie qui n’est pas libérée, sinon à la fin, quand Rouletabille explique tout. C’est en deux temps. Comme le tableau que peint le Professeur Stangerson, qui reste blanc très longtemps avant que des couleurs arrivent à la toute fin. J’aime l’idée que les spectateurs aient confiance dans le film pour accepter ce rythme un peu bizarre. C’est comme dans les tours de magie : si le spectateur sait qu’il va y avoir un effet magique, il est prêt à l’attendre très longtemps. Souvent les tours de magie sont très brefs, mais le numéro dure longtemps puisqu’il y a tout un boniment qui prépare le terrain. Les premiers spectateurs du film se disent un peu déroutés par la narration, mais pour moi c’est comme un sentier tortueux qui descend vers la mer : on va dans tous les sens mais on garde la certitude qu’à la fin on sera face à la mer. Avec Rouletabille, on sait où on est, on sait qu’on en aura pour notre argent, qu’il va faire une démonstration de logique. Alors en attendant, profitons du lieu.

A propos de magie, on a l’impression que le film est bourré de trucages artisanaux, alors que ce sont essentiellement des effets de montage. Et ça donne un sentiment d’étrangeté, notamment sur les corps. C’est comme si quelque chose, une bizarrerie, passait dans les collures.

Oui, j’aime bien le bricolage, le fait-main, j’aime l’idée que le spectateur sente que la chose filmée a vraiment eu lieu. Dans les tours de magie qui ouvrent le film, par exemple. Mais ce n’est pas une posture contre le numérique. Dans la scène des lunettes noires du Parfum…, le découpage est invraisemblable, puisque la table est ovale et les personnages sont tous face caméra et en même temps en champ/contre-champ avec Sainclair et Rouletabille. C’est complètement artificiel. Le fantastique est présent chez Leroux, moins dans les faits que dans la narration elle-même. Par ailleurs, il était fasciné par la folie. L’île, dans le roman, est un asile de fous, mais je ne voulais pas garder cela car je n’avais pas envie de me moquer des fous. Mathilde Stangerson elle aussi devient folle, et je voulais éviter cela. Je ne voulais pas qu’elle fasse rire.

Surtout, on a le sentiment d’être dans un théâtre d’ombres. Il n’y a pas de personnages, seulement des figures, à l’exception de Sainclair qui, par sa maladresse, est le seul à être vraiment incarné, vraiment humain.

Oui, d’ailleurs il y a beaucoup d’allusions dans le film au théâtre d’ombres, que j’affectionne vraiment. Je suis friand des ombres portées. Pour les décors, j’ai beaucoup pensé à l’artificialité des décors de Smoking / No smoking de Resnais. Et c’est vrai que les personnages sont plutôt des silhouettes, comme la dame en noir sur l’affiche…

Ca rappelle un peu Tardi et les aventures d’Adèle Blanc-sec…

Oui, j’aime beaucoup Tardi, qui mélangeait des trucs à la Jules Verne et à la Léonard de Vinci… D’ailleurs, Tardi avait fait des projets d’affiches pour Le Mystère…, qui malheureusement ont été refusés. Ils étaient très beaux.
Il y a un côté chinois, dans le film, un peu fumerie d’opium…

… oui, un peu comme dans Le Lotus bleu lorsque Tintin passe sa tête à travers un rideau rouge et découvre la fumerie. Je n’y avais jamais pensé mais c’est vrai. Lorsque Sainclair remonte avec sa torche et déboule dans l’atelier du Père Jacques, il y a ce côté un peu repaire de bandits, fumerie…

Comment gérez-vous la technique de jeu de Denis ? On voit très bien chez lui ce qui relève du théâtre, de la comédie française : accélération, ralentissement, maîtrise absolue du débit et du souffle. Cela tranche avec les autres personnages, et Sainclair surtout, qui sont davantage dans un registre du bafouillement, de l’approximation.

C’est juste, mais le jeu de Denis correspond au personnage, qui est le moteur de la narration, qui doit filer droit. Donc je l’ai laissé faire. Comme il est extrêmement précis, je peux jouer sur des effets de mise en scène avec lui. Par exemple, le faire passer pour l’assassin en utilisant une caméra subjective et le hors-champ lorsqu’il entre dans la chambre de Mathilde. Ou bien dans la scène de l’église où Larsan apparaît partout aux yeux de Sainclair, en presque tous les personnages, sauf en Rouletabille. Par contre, j’ai demandé à Zabou d’être plus floue. C’est une actrice qui connaît son texte au rasoir, qui peut le dire parfaitement, mais je voulais qu’elle tâtonne, qu’elle cherche, qu’elle fourche. On a l’impression que son personnage ne voit et ne comprend rien à l’action, alors que c’est elle qui, à la fin, va pointer la scène originelle du baiser à l’église. Pour en revenir à Denis, j’ai joué sur sa technique, en m’arrangeant pour qu’à certains moments il soit en avance sur l’action -tandis que les autres sont dans la vacance.

Est-ce difficile de monter un projet comme cette double adaptation de romans de Gaston Leroux, étant donné que le cadre des films est plutôt peu vendeur, un peu vieillot, ambiance Brigades du tigre ?

C’est difficile, oui. Déjà, le nom de Rouletabille avait du mal à passer. Ce fut surtout compliqué pour Le Mystère…, où à cause de la désuétude du roman, les chaînes de télé ne suivaient pas par exemple. Mais comme le film a bien marché, le financement de la suite s’est avéré plus simple. Encore que ce sont des budgets assez serrés pour des films d’époque, surtout pour Le Parfum…. Avec entre 8 et 10 millions d’euros, ce n’est ni un film fauché, ni un film avec un budget énorme. Comparé à Arsène Lupin, par exemple, ce n’est rien du tout. C’est un budget un peu bâtard, puisque les télés ont des cases et prennent soit des micro-budgets, soit de très grosses productions. Mais je défends l’idée de se débrouiller avec des budgets de cet ordre.

Propos recueillis par &

Lire notre chronique du Parfum de la dame en noir