Décevante, moyennement crédible l’édition 2005 du Festival du film de Berlin. Compte-rendu malgré tout, pour trois beaux films en compétition.

Berlin, 2005 : quelques jours près de la Postdam Platz à l’ombre d’un palais des festivals où s’échauffe comme il peut un très vague glamour frigorifié. Festival balancé entre une double réputation de prestige et de découverte. Côté prestige : une compétition, un tapis rouge, quelques vedettes américaines. Côté découverte : deux sections parallèles -forum et panorama- censées combler les dévoreurs de pellicules et autres chasseurs de nouveaux talents plus ou moins exotiques. Sur chaque tableau, l’édition 2005 n’a guère impressionné. Quelle idée d’un festival de cinéma préside au choix de Hitch de Andy Tennant (avec Will Smith) comme film star hors compétition (sans parler du Régis Warnier, en ouverture) ? Quelle crédibilité pour la compétition, remportée par une adaptation de Carmen en Afrique du Sud (U-Carmen e-Khayelistsha de Mark Dornford-May) ? Quelle crédibilité pour ce prix, décerné par un jury présidé par Roland Emmerich, Allemand certes, mais qui est à l’art du 7e art ce que le nouveau roman de Dan Brown (Anges et démons, dans toutes les bonnes librairies) est à la Somme théologique de Thomas d’Aquin ?

Ceci n’est pas un scoop, Berlin, pour maintenir sa place dans le trio de têtes des grands festivals (derrière Cannes et Venise), tente une curieuse hybridation, forcément ratée, entre 1. nouveaux talents ou présumés tels ; 2. une poignée d’auteurs exotiques (films présumés chiants) ; 3. du cinéma européen (allemand, français…) ; 4. quelques incongrus américains. Catégorie 1 : ensemble vide. 2 : Sokurov, Tsai Ming-liang, on y revient. 3 : on a déjà parlé des films français, ou ça ne saurait tarder (Les Temps qui changent, Le Promeneur du champ de mars, les nouveaux Audiard et Corneau, silence pudique quant au Warnier), quant aux Allemands, ils semblent taillés pour les European Awards (Sophie Scholl, sur l’héroïne de la Rose blanche) ou s’acharnent sans vraiment convaincre à démontrer le renouveau de leur cinéma. 4 : on aime La Vie aquatique de Wes Anderson, le reste on s’en fout.

Donc, trois beaux films en compétition : La Vie aquatique, Le Soleil d’Alexandr Sokurov et The Wayward cloud de Tsai Ming-liang. Le premier, on en reparle à sa sortie (9 mars 2005 – cf. également Chronic’art #18, en kiosque). Le Soleil par contre n’est pas sûr de sortir, pas plus que Taurus, auquel il fait suite, n’avait connu une exploitation en France. Il s’agit du troisième volet d’une tétralogie consacré à la fin des tyrans, après Moloch (sur Hitler), Taurus (l’agonie de Lénine) et en attendant un film sur Mao. Le Soleil fixe davantage une naissance qu’une mort, celle de Hiro Hito, empereur du Japon. Mort d’un dieu, naissance d’un homme, soit le moment (les derniers jours de la seconde guerre mondiale) où l’empereur renonce à sa nature divine. Dans le puissant style funèbre, cendreux et crépusculaire qu’a choisi Sokurov pour représenter la fin de ces hommes, Le Soleil est une brillante réflexion sur le corps impérial. Les corps, chez Tsai Ming-liang, sont plutôt nus et agités : tournage d’un porno chez Lee Kang-sheng, l’éternel colibri de Tsai qui reprend ici le personnage de Et là-bas quelle heure est-il ? Comment le sait-on ? Par la seule et unique ligne de dialogue des deux personnages principaux : « Tu vends toujours des montres ? ».
The Wayward cloud (sortie en juin 2005) est une sorte de slapstick où -envers des habitudes humides du Taïwanais- c’est la sécheresse qui règne : pas d’eau, mais du jus de pastèque et un gag par scène. Scènes hard, mais film pas vraiment pornographique, tant y sont discrets les organes (pas de gros plans). Film désorganisé plutôt, ballottant du sexe à de délirantes scènes de comédie musicale où l’art de Tsai foncièrement désespéré, mutique et rentré au-dedans de lui-même, s’exprime dans un éclat de sensations brutes et un burlesque enfantin et bariolé. En tout cas, mêmes les spectateurs les plus réfractaires au cinéma de Tsai se sont fendus d’une franche rigolade, avant de quitter la salle.

Côté panorama et forum, peu de choses à rapporter de cette édition, grave décevante côté découverte. On passe sous silence les films lettons suicidaires, les ragoûts russes (pas possible de tenir plus de 10 minutes devant Mars ou Night watch, invraisemblable Matrix moscovite sur fond de démonologie crasseuse -acheté par la Fox), les films allemands sur les adolescents déjà mille fois vus, un nippon laconique déjà oublié (Starlite highnoon), le nouveau, goulu et grotesque Fruit Chan (Dumplings, miam les vieilles peaux HK qui mangent des foetus humains en guise de liftings). Deux films, tout de même. D’abord un portrait de Mathilde Monnier par Claire Denis, dont on sait l’intérêt qu’elle porte à la chorégraphie (cf. Beau travail, avec Bernardo Montet). Vers Mathilde est tout sauf un documentaire sur la danse, plutôt un essai -un portrait en fait- sur la parole de la chorégraphie. Quel lien entre les indications de la chorégraphe, leurs effets sur les mouvements des danseurs, le discours sur le corps (son corps et ce qu’on veut ou peut en faire) ? C’est la belle question que se pose le film. Ensuite et pour finir, une découverte mineure et coréenne (ah, quand même) : The Charming girl de Le Yoon-ke, odyssée miniature d’une femme ordinaire, seule, visitée de temps à autre par sa famille -des fantômes. C’est tout.

Le palmarès de la Berlinale 2005 :

Ours d’or du meilleur film :
U-Carmen e-Khayelitsha de Mark Dornford-May

Ours d’argent du meilleur acteur :
Lou Taylor Pucci pour Thumbsucker

Ours d’argent de la meilleure actrice :
Julia Jentsch pour Sophie Scholl – Les Derniers jours

Ours d’argent du meilleur réalisateur :
Marc Rothemund pour Sophie Scholl – Les Derniers jours

Ours d’argent – Grand Prix du jury : Le Paon de Changwei Gu

Ours d’argent de la meilleure musique de film :
Alexandre Desplat pour De battre mon coeur s’est arrêté

Ours d’argent de la meilleure contribution artistique :
Tsai Ming-liang pour The Wayward cloud

Prix de l’Ange bleu, décerné au meilleur film européen en compétition :
Paradise now de Hany Abou-Assad

Prix Alfred Bauer :
The Wayward cloud de Tsai Ming-liang

Ours d’or d’honneur :
Im Kwon-taek

Ours d’or d’honneur :
Fernando Fernan Gomez

Ours d’or du meilleur court métrage :
Milk de Peter Mackie Burns

Ours d’argent du court métrage (ex-aequo) :
The Intervention de Jay Duplass et Jam Session d’Izabela Plucinska

Caméra de la Berlinale :
L’acteur Daniel Day-Lewis