Arielle Dombasle est allergique aux personnalités figées, aux parcours univoques. Entre le dernier Philippe de Broca (« Amazone ») et le prochain Raoul Ruiz (« Les Ames fortes »), elle prouve une nouvelle fois son éclectisme avec un court métrage de Philippe Barassat où elle excelle en institutrice amoureuse et obsessionnelle. A l’occasion de la sortie du film cette semaine au sein de la compilation Folle de Rachid en transit sur Mars, rencontre avec une comédienne insaisissable.

Chronic’art : Comment êtes-vous entrée en collision avec l’univers de Philippe Barassat ?

Arielle Dombasle : Il m’a envoyé une cassette de Mon copain Rachid et j’ai tout de suite été très éblouie par cet univers, par le unpoliticallycorrectness, par cette vérité de la poésie qui est pour moi la « vraie vérité », ce langage qui, au-delà de l’apparence, dit quelque chose de sincère. Pour Godard, le cinéma c’est la vérité vingt-quatre fois par seconde. Avec Philippe, il y a ça. Il m’a dit qu’il avait écrit Les Eléphants de la planète Mars en pensant à moi. Mais je dois vous avouer que je reçois beaucoup de scénarios de courts.

Justement, est-ce que c’est un fait exceptionnel pour vous d’accepter un court métrage ?

Non. J’en avais déjà tourné un qui avait d’ailleurs été très primé : Soyons amis de Thomas Bardinet. Mais dernièrement, j’en ai refusé quatre ou cinq qui m’intéressaient aussi. C’est trop dévorant. Ce sont des gens qui ne sont pas à l’intérieur du marché planétaire, ni du marché national. Donc, quand on est dans le faisceau de lumière, il faut bien sûr y faire entrer ceux qui le méritent, mais c’est se donner beaucoup de mal. On me dit souvent : « Je vous assure Arielle, ça ne vous prendra même pas une petite semaine ». Ce n’est pas vrai, c’est au-delà , on accompagne les films, on les fait vivre, on les assume… En même temps, on est tellement gâtés, tellement sur les écrans, qu’un produit qui a une vie totalement parallèle et obscure, presqu’un produit de société secrète, c’est très plaisant.

En tout cas, vous n’avez jamais donné l’impression de vous lâcher à ce point devant une caméra…

Ah bon ? Je ne me rends pas compte vous savez. C’est peut-être le fait que je sois amochée, avec toutes ces perruques, ces trucs, ces machins, ça donne une autre note de vous-même. Je pensais à ce livre que j’ai tellement aimé, Les Mémoires d’Hadrien de Yourcenar. Je cite toujours cet amour d’Hadrien pour Antinoüs, cet amour des Grecs pour des gens beaucoup plus jeunes. Ici, c’est celui d’une maîtresse d’école pour un élève de 12 ans. Et je trouve ça tellement pur, tellement joli comme idée, surtout dans cette époque où c’est devenu la chose la plus bannie, la plus décriée, la plus incomprise. Ce que j’aime aussi, c’est la facture du film, ce côté carton pâte, trash, mal tourné, un peu mal foutu. Ca fait partie de la vivacité du truc, n’est-ce pas ?
Est-ce que vous avez une liberté totale par rapport à vos choix ?

Oui. Sauf qu’évidemment je me fais un peu engueuler par mes agents. Ils me disent : « Mais Arielle, bon d’accord, vous êtes impayable, vous êtes drôle et tout ça mais enfin quel besoin d’aller se fourrer là-dedans ? ». Mais au final, je suis très heureuse. Je n’ai vraiment pas l’esprit bourgeois. J’aime la création, j’adore la peinture, l’architecture, la musique, la littérature, le cinéma. C’est ma vie, c’est ça qui me fait vibrer, c’est mon oxygène. Je ne vais pas m’installer dans un personnage de star cinématographique avec toute la bêtise que cela comporte, ça ne m’intéresse pas. Il y a très peu de gens qui créent et qui sont dans le faisceau de lumière dont je parlais tout à l’heure. Et ce sont souvent des êtres merveilleux… Les médias et le people ont pris une telle envergure qu’on dirait qu’il n’y a plus que ça qui existe. C’est faux. Les artistes sont là, il suffit de les découvrir.

En même temps, vous jouez aussi le jeu des médias. Vous n’avez jamais l’impression de perdre votre temps sur certains plateaux télé ?

Ah oui, énormément. Par exemple, je viens de faire ce disque de Haendel, Liberta. C’est du Haendel techno-pop, c’est tout à fait particulier. Et pour le faire exister, il fallait tout de même que les gens me voient chanter. Alors j’ai fait des émissions terriblement populaires. Une part de moi a beaucoup souffert et une autre était plus satisfaite. Parce que le public qui était là était vraiment ce qu’on appelle un échantillon de la population française. Je ne suis pas sectaire. Je déteste les intégrismes, et il y a souvent beaucoup trop d’intégrisme culturel. J’ai toujours envie de donner un coup de pied là-dedans.

C’est pour ça que vous alternez films exigeants et films populaires à gros budget ?

Les Deux papas et la maman, Un Indien dans la ville et consorts sont des films que je ne méprise pas du tout. Je dis souvent qu’on n’est pas 24 heures par jour la même personne. Il faut savoir être vaste, appréhender un univers large. On n’est pas sur une autoroute jusqu’au cimetière quand même… Quelquefois, je me dis qu’être sur ces plateaux de télé hallucinants, c’est un peu se perdre, prendre beaucoup de risques pour rien. D’un autre côté, j’ai l’impression d’être dans un univers de Fellini. Par exemple, aux Victoires de la Musique, j’étais dans les coulisses et c’était génial : il y avait des grosses Africaines avec des boubous, des danseurs thaïlandais, des rappeurs, des danseuses du ventre, de la techno. Ca me plaisait beaucoup d’être là.

Les films de Barassat relèvent aussi de ce métissage.

Oui. Il y avait sur le tournage un garçon qui s’appelait Jamao, le Beur, le rappeur. C’était la première fois qu’il était habillé en majorette. Il était très déstabilisé parce que lui, c’est banlieue pure et dure et tout à coup, déguisé de la sorte, je sentais qu’il souffrait un maximum.

Est-ce que vous regrettez certains films ? Par exemple, dans Gamer, même si le personnage est excessif, on sent que vous n’y croyez pas vraiment.

Non. Parce qu’il n’y avait malheureusement pas de mise en scène. Je m’en suis aperçue en cours de route et j’étais navrée. Pourtant, j’adorais l’idée d’être une créature en 3D. On m’a mis des capteurs, tout ça. C’est dommage, car c’était vraiment ambitieux de mêler à ce point l’univers PlayStation avec la vie. Mais il fallait être virtuose…

Certaines de vos filmographies indiquent votre première apparition dans La Montagne sacrée de Jodorowsky…

J’habitais le Mexique et Jodorowsky était mon voisin. J’avais 13 ans, il tournait La Montagne sacrée. Donc, j’étais allée sur le plateau, et il m’avait mis une blouse d’infirmière, tout ça en cachette de mes parents. On ne me voit pas à l’écran, mais c’était ma première expérience d’un plateau de cinéma. Les Mexicains avaient une véritable haine de Jodorowsky. Il avait ce côté très subversif. Il était vu comme un diable, surtout avec son arrogance vis-à-vis du catholicisme. Alors, j’avais bien entendu l’interdiction absolue de le voir.

Vous êtes très fidèle à certains cinéastes : Rohmer bien sûr, mais aussi Raoul Ruiz.

Et Robbe-Grillet. Sans oublier Patrick Mimouni, avec qui je vais bientôt tourner de nouveau. J’ai adoré travailler sur Villa mauresque, qui avait été à l’époque un film assez scandaleux, parce qu’il dépeignait l’univers de l’homosexualité masochiste. Et moi je jouais une espèce de petite créature complètement perdue, qui s’appelait Sandra et pour qui tout allait bien du moment qu’elle pouvait boire du champagne rosé. Quant à Ruiz, mine de rien, j’ai déjà tourné cinq films avec lui. C’est l’Amérique Latine, alors on s’entend très bien. Pour moi, c’est un personnage de Borges. Il est un immense érudit, c’est le seul qui peut citer trois pages de Stevenson et vous parler en même temps du langage iroquois. Sa culture est très large, très étonnante, c’est presque une figure du fantastique.

Comment avez-vous vécu l’accueil assez catastrophique du film de Bernard-Henri Lévy, Le Jour et la nuit ?

J’ai fait très souvent des films qui n’ont pas marché. Mais là, c’était d’autant plus triste que c’était mon mari. Moi, j’adore le film, son lyrisme, son amplitude. Quand je revois ne serait-ce que les premières images, j’ai envie de pleurer tellement c’est lié à quelque chose de profondément émouvant. Ca m’a blessée que Bernard-Henri soit attaqué aussi violemment, d’une manière aussi unanime. Je pensais à la phrase de Céline : « J’ai la meute aux trousses ». C’était vraiment ça. Si les gens avaient pu avoir des bazookas et lui tirer dessus, ils l’auraient fait. Ils étaient exaspérés à l’idée qu’il puisse avoir l’arrogance de prendre Alain Delon, Lauren Bacall, sa femme et faire un film au Mexique.
J’aimerais que vous évoquiez votre rencontre avec Klaus Kinski sur Les Fruits de la Passion de Terayama…

C’était un film produit par Anatole Dauman, à l’intérieur d’une très grande prétention gallimardienne, puisque le livre avait été écrit par la maîtresse de Jean Paulhan. Sur le papier, tout ça était extrêmement littéraire et chic. Le récit se situait dans la Chine des années 20. J’avais 18 ans, j’étais très jeune et j’ai beaucoup souffert de Klaus Kinski. On dit « Dieu ait son âme » parce qu’il ne faut pas dire du mal des morts, mais c’était vraiment quelqu’un d’épouvantable. Un jour, on tournait dans une province chinoise et il y avait 600 petits paysans, les yeux écarquillés, qui voyaient pour la première fois une équipe de cinéma. Au coeur de la Chine communiste, ça avait quelque chose de surréel. Klaus Kinski est entré dans une rage épouvantable. Il a pris des meubles et les a jetés sur la population. Mon sang n’a fait qu’un tour, j’avais envie de le tuer. Il n’avait peur que des forts et il s’attaquait aux faibles, ce qui est la chose la plus méprisante que l’on puisse faire sur cette planète. Il me craignait uniquement parce que mon beau-père était ambassadeur de France. Je n’ai donc pas du tout aimé le personnage, je le trouvais très matérialiste, et cette anecdote de tournage m’a obstrué le paysage. Je n’ai plus pu le voir après ça, même au cinéma. Ce détail était suffisamment laid. On sentait qu’il pouvait aller jusqu’au crime…

Vers qui vont vos désirs d’actrice aujourd’hui ?

Beaucoup de gens. Evidemment, j’aurais adoré tourner avec Visconti. Avec Tarkovski aussi : Stalker, Le Miroir et Nostalghia ont été de grandes révélations. J’admire les frères Coen, Woody Allen, Scorsese, beaucoup d’Américains. J’ai été très déçue lorsque j’ai joué dans Vatel de Roland Joffé parce que je m’attendais à quelque chose de formidable. J’avais adoré Mission, mais ce film-là était raté. Et puis Blier, Pialat… Resnais, pour faire quelque chose de très cérébral, abstrait et intouchable. J’aimerais aussi faire un autre film avec Cédric Kahn, un vrai cinéaste. Philippe Garrel m’intéresse également. J’ai d’ailleurs tourné avec son père, Maurice, dans Hors saison de Daniel Schmid. C’est un homme d’une grande coquetterie mais très sympathique. C’est là où j’ai connu Ingrid Caven, qui est restée une copine.

Quel regard portez-vous sur vos propres réalisations, Chassé-croisé (1981) et Les Pyramides bleues (1988) ?

Une forme de tendresse. J’aime mes deux films. J’en tournerai d’autres plus tard. Pour l’instant, je n’en ai pas envie.

C’est en tout cas très difficile de les voir.

Oui, c’est assommant. Il faudrait que je m’en occupe. Il y en a un qui est sous mon lit et l’autre… C’est parfois comme ça la carrière des films. Truffaut me parlait des copies, des négatifs qui se perdent, vlou !, le film s’évapore, à tout jamais.

Mais ils finissent souvent par resurgir.

Pas toujours. On est obligé de partir d’une vieille copie crasseuse pour essayer de restituer les images d’origine. Je suis allée voir l’autre jour un film avec Louise Brooks mis en poésie, en perspective par Hanna Schygulla. Il y avait cette magie du noir et blanc, des passages très drôles, très féroces, des moments de génie, et d’autres un peu lourdauds, mais ça ne fait rien, parce qu’il suffit parfois de trois images qui vous plaisent dans un film.

Ce n’est pas toujours le cas.
C’est ça le problème. J’ai vu aussi Intimité, le dernier film de Chéreau, dans lequel j’ai remarqué qu’il n’y avait que des orgasmes masculins. Mais on ne va pas lui reprocher ça quand même (rires) !

Propos recueillis par

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