Compte-rendu au jour le jour par Romain Brethes du 33 Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême.

Jeudi 26 janvier 2006

Après une année d’attente insoutenable, retour sur Angoulême et son froid polaire qui s’est abattu sans prévenir. La ville ronronne encore, jeudi est le jour des scolaires. Retrouvailles avec Julien (Bastide), qui s’occupe de l’expo Shiriagari, ce japonais génial touche-à-tout au nom imprononçable. Rituel des présentations extrêmement formelles, passage en revue de l’imposante délégation (le Japonais en voyage à l’occident est peu autonome) et traditionnel échange des cartes de visite. Je souhaite bon courage à Julien qui va tout de même couver pendant toute la durée du festival ses protégés. Il demandera grâce le lendemain. Rapide passage à l’inauguration officielle au CNBDI, complètement ratée, avec Wolinski dans le rôle du vieil obsédé qui fait encore un peu rire ceux de la génération Hara Kiri et on file déjeuner chez Jeff, le patron du Passe-Muraille, pour le déjeuner rituel du début de Festival. L’équipe de La Charente Libre est en grande forme, et c’est passablement émoussé que je me dirige vers la première des Rencontres Internationales que j’anime, Soleil de Minuit, en présence de trois auteurs finlandais. Les autres coordinateurs des Rencontres, dont Benoît, le DA du Festival, m’avait élégamment refilé le bébé sous prétexte que « ben toi qui as fait un papier sur Turunen, tu dois bien connaître la bande dessinée finlandaise, hein ? ». La charmante Kirsi, commissaire de l’expo consacrée à cette bande dessinée venue du Nord et membre du jury officiel cette année, m’offre toutefois un appui fort précieux et la rencontre, que je prenais pour un suicide publique autant que pour un acte de grande pureté artistique, est finalement une réussite. Je peste (un peu, pour la forme) contre les rencontres qui m’empêchent finalement de profiter des autres événements du Festival, telle la prometteuse expo Capsule cosmique et le court-métrage alléchant des Requins Marteaux, et me plonge dans les fameuses bulles, déplacées pour cause de réaménagement complet du centre de la ville. J’y croise Jean-Louis, de Cornelius, en pétard contre le jury qui s’est réuni la veille et n’a probablement pas récompensé ses (très beaux) ouvrages, Benoît de Imho et les filles du Seuil, les plus charmantes des attachées de presse que je connaisse (je ne chronique pas les bouquins du Seuil pour cette raison). Je retrouve également l’ami Vincent, éternel dandy et pestiféré de ce milieu, flanqué de Vincent Ravalec, à la recherche d’un dessinateur pour son scénario, et nous nous rendons à l’inimitable remise des prix, au Théâtre d’Angoulême, qui concourt généralement pour le titre de lieu le plus ennuyeux entre 19 et 21h00 le dernier jeudi de janvier sur la terre. Surprise : la cérémonie est plutôt légère, malgré les insupportables rodomontades de Michel-Edouard « j’emmène le pognon alors fermez vos gueules » Leclerc. Sa pathétique croisade pour un grand prix scénariste (car il songe plutôt à Arleston ou Van Hamme qu’à Alan Moore) rencontre applaudissements polis et remarques acerbes. Malgré la constitution d’un jury pour le moins hétéroclite (Marc Lambron, Louis Schweitzer, mon beau-frère de La Charente Libre -véridique !), les prix sélectionnés sont plus que convenables. Meilleur album pour Gipi (malgré Dave Cooper), et surtout prix du patrimoine pour Locas de Jaime Hernandez. Vincent, son éditeur, s’avance alors nonchalamment sur scène, dans un costume à velours d’une élégance rare. Je lui fais remarquer qu’il a grossi mais il s’en fout. Son prix est mérité et les filles du Seuil, Amélie et Camille, sont aux anges. Pour fêter ça, avant de rejoindre le beau-frère pour la traditionnelle virée Albin Michel, je dîne avec toute l’équipe, à laquelle s’est rajouté Bruno Heitz. Ce dernier, auteur fétiche d’un privé dans la cambrousse, nous raconte une fabuleuse anecdote sur une pipe de Georges Simenon, que le maître, touché par une lettre, lui aurait envoyé alors qu’il avait 13 ans. Le bonhomme, qui travaille essentiellement pour la presse jeunesse, est totalement étranger aux enjeux du microcosme BD, ce qui offre une très agréable soirée. Direction une soirée officieuse Albin Michel, mais il est déjà 1h00 et Jul, mon pote, est déjà parti. Sont restés les plus assoiffés, dont la maîtresse des lieux, fringante quinquagénaire particulièrement avenante (je fuis par précaution) et un étrange auteur, au look BD old school type Denis Sire (dents pourries, taux d’alcoolémie prometteur et docks coquées), qui me parle de ses « cinq albums chez Albin dont pas un n’a marché ». Il est 3h00, et le beau-frère a oublié les clés de son manoir néo-gothique, ce qui nous oblige à réveiller sa charmante femme. Grand seigneur, j’assume et file au lit. Il est 3h00, rideau pour aujourd’hui.

Lire les comptes-rendus du vendredi 27 janvier 2006 et du samedi 28 janvier 2006