Les trois composants de l’équation Add N To (X), Barry Smith (claviers), Steve Claydon (Theremine) et Ann Shenton (claviers), ont décidé de contaminer le monde à coups de synthés préhistoriques. Avant hard, leur nouvel opus tour à tour hypnotique, brutal ou caressant, les aidera à réaliser ce projet : l’écouter, c’est l’adopter.

Chronic’art : De quelle planète venez-vous ?

Barry Smith : Nous venons du Sud de Londres, nous vivions dans la même cité sinistre. On est amis depuis l’adolescence.

La musique s’est-elle rapidement imposée à vous comme une possible carrière ?

Steve Claydon : On n’a jamais eu de boulot régulier.

Barry : On vivait du chômage, on faisait des petits boulots pourris comme balayer les rues. Nous avions en commun le même sens de l’esthétique qu’on retrouvait dans des films de science-fiction tels que THX 1138. Un jour, un hippy bizarre m’a donné un vieux synthétiseur. Les sons incroyables qu’il produisait m’évoquaient les disques bon marché que j’achetais à ce moment-là. On a fini par se retrouver chez Ann pour boire du thé entre deux jams. Assez peu rock’n’ roll ! Nous avons formé le groupe par défi, après qu’on nous ait proposé de participer à un concert.

Steve : Le premier concert a eu lieu sur la Tamise, dans un bateau. Je ne faisais pas encore partie du groupe mais j’étais spectateur.

Comment s’est passé le premier concert sur le plancher des vaches ?

Barry : Terrifiant. La salle affichait complet. Parmi les spectateurs se trouvaient Jarvis de Pulp et les Blur. Apparemment, Steve Diggle (guitariste des Buzzcocks) a dit qu’on était le premier groupe à lui faire quitter le bar pour voir ce qui se passait sur scène. Un énorme compliment pour nous, fans des Buzzcocks. Nous avons choqué beaucoup de gens aussi. Ils voyaient les vêtements neufs de l’empereur sans parvenir à nous définir.

Steve : Nous avons employé des tactiques de choc. On se foutait de la façon dont nos morceaux seraient reçus.

Barry : A ce moment-là, la musique baignait en plein trip années 60 brit-pop. Jouer des synthés à fond d’une manière incontrôlée sortait complètement de l’ordinaire. Nous n’avions rien en commun avec la scène techno, on en avait marre des clubs qui en passaient, des raves… Nous avons préféré créer notre propre style. On a joué à l’ICA, Steve nous a rejoints. J’ai demandé à un copain d’assurer la batterie -il est toujours batteur des High Llamas- ainsi qu’à Andy Ramsey, batteur de Stereolab. J’ai toujours voulu combiner batterie et sonorités électroniques. La plupart des groupes emploient des boîtes à rythmes ou des boucles pré-enregistrées. Voir jouer un batteur est quelque chose de joli à regarder, une sorte de ballet, et en même temps, c’est très sexuel.

Steve : Quand on joue avec une boîte à rythmes, c’est figé. Avec un batteur, cela devient organique.

Barry : Du space jazz… Le batteur donne le ton, le tempo, l’énergie. Le résultat est un son très physique, sexuel, comme nous l’aimons. Violent, aussi. Quand on a utilisé nos batteurs sur scène, nous sommes devenus bien plus excitants.

Comment est né ce nouvel album ?

Barry : Il a été enregistré dans un petit cottage à l’Ouest de Londres. Un sacré boulot. On the wires of our nerves, notre premier album, avait demandé une semaine de travail et coûté 600 livres, enregistrement et mixage compris. Le processus de création avait été très direct, sans qu’on ait le temps ou l’occasion de trop bidouiller. Nous avons essayé d’employer des techniques similaires pour Avant hard, et nous avons échoué. Nous avions besoin d’y consacrer plus de temps, que ce soit au niveau du mixage, de la production… Nous l’avons longuement peaufiné à tous les niveaux. Une des pistes, Revenge of the black raging, a développé une existence propre. Et le Black Raging en tant que personne semblait superviser notre travail, semant des obstacles sur la route. Certains sons surgissaient sur des bandes, comme s’il y avait un fantôme.

Steve : Ce morceau est très vivant, a une forte personnalité. On avait l’impression, à la longue, de servir une force extérieure, de travailler pour le Black raging.

Barry : On le sentait nous observer sur le toit du cottage. A un moment, j’étais en train de réaliser un mixage pour la quatrième fois et j’étais penché sur la console en face d’une fenêtre donnant sur une petite cour. Il y avait un énorme orage dehors, avec du tonnerre, des éclairs. Pour je ne sais quelle raison, je me suis tourné pour bricoler derrière moi. Un éclair a alors traversé la fenêtre, frappant la console qui a explosée. J’ai donc failli finir électrocuté et je sentais que le Black Raging n’aimait pas ce morceau tel quel. Sur la piste supplémentaire de l’album, il s’est également passé quelque chose d’étrange. Tous les instruments jouent en harmonie, ce qui produit une voix que nous n’avions pas enregistrée, mais qui résulte de cette harmonie, à la façon d’un groupe de chanteurs poussant la même note. Ici, il y a une voix en plus de celle-là ! Ça nous a fichu la trouille, et en même temps, nous avons su que cela mettait un point final à l’enregistrement.

Steve : Cet incident résume parfaitement l’esprit d’Add n to (x), qui est d’accumuler les sons, de les balancer les uns contre les autres et d’obtenir une nouvelle force, à la manière d’un accélérateur de particules.

Barry : Ce que nous aimons dans nos machines, ce n’est pas qu’elles soient anciennes ou bonnes à collectionner, mais qu’elles possèdent toutes un passé, une vie propre. Elles ont leur odeur, leur histoire, leur tics. Nous leur permettons de se laisser aller. Nous menons aussi une bataille constante contre elles, nous voulons leur extirper ce qu’elles ne nous donnent pas spontanément. Nous jouons avec la créature de Frankenstein : il y a toutes ces pièces rassemblées là, nous y envoyons l’électricité et créons une vie.

Steve : Notre musique inclut ces deux polarités : l’une est mécanique et l’autre est physique, à la limite de l’animalité. Entre les deux, il y a cette lutte. Nous n’aimons pas trop les groupes à synthés où les musiciens essayent de devenir des robots.

Donc, vous n’êtes pas des cyborgs…

Barry : Non. Nous transpirons, baisons, avons des pensés cochonnes. Bosser avec des synthés renforce cet aspect humain. Nous ne sommes pas intéressés par le cyber punk, trop artificiel. Nous sommes ancrés dans le présent, le passé et le futur n’existent pas. Les émotions et l’état d’esprit du moment comptent plus que tout.
La place des samples dans tout ça ?

Barry : Très importante ! Les sélectionner est comme d’aller aux puces et d’y faire des trouvailles, de se dire, ça c’est génial, c’est beau ! C’est aussi un moyen de raviver le passé, car lorsqu’on place un joli sample dans un certain contexte, les gens ont envie d’en entendre plus, de savoir de quoi il s’agit. C’est pourquoi j’ai toujours trouvé les Cramps très cools. Ils sont très influents en tant que groupe. Ils ont mis en évidence une quantité de choses essentielles au niveau de la musique avec le rockabilly, le psychobilly. Et puis, il y a chez eux une ambivalence et une certaine sexualité dans leur musique, sans oublier leur fabuleux sens de l’humour.

Steve : Il faut utiliser les samples comme un stock dans lequel on puise. Sinon, prendre un sample au hasard, c’est paresseux, ça ne sert à rien. On écoute beaucoup de choses qui conviennent à Add n to (x), comme Black Sabbath, et on ne voit aucune contradiction à cela.

Barry : Parfois en heurtant deux samples, on produit une troisième force.

Que signifie votre nom ?

Barry : Il y a trois explications. Un prof de maths nous a écrit que ce nom est celui d’une équation pour l’infini. Ensuite, Add n provient d’un dico informatique des 70’s. La définition -incompréhensible- du mot s’étalait sur trois pages. Le vocabulaire et la technologie étaient obsolètes mais j’étais intéressé par la relation entre un langage et un métier. Enfin, c’était le moyen de se démarquer de la brit-pop, où les groupes avaient des noms brefs comme Oasis, Blur, Suede. On voulait ordonner aux gens : Ajoutez n à x ! Additionnez une force inquantifiable à une inconnue.

On vous a comparés à Suicide…

Barry : Nous avons plus de chance qu’eux. Lorsqu’ils jouaient en première partie de Clash en Angleterre, ils ont vécu des moments très pénibles. A l’Hammersmith, les gamins ont cassé les chiottes et les lavabos pour les leur balancer dans la tronche. Tout ça parce que Suicide avait ce son tellement étrange.

Ann Shenton (qui vient de nous rejoindre) : Nous n’avons jamais dû donner de concert derrière un grillage.

Steve : Au début, nous avions sans cesse des problèmes sur scène. Il y avait toujours un mec qui essayait de pousser les amplis ou d’arracher des câbles.

Ann : Quelquefois, ça ne veut pas dire que les gens te haïssent, c’est juste leur façon de réagir. En concert, on est tellement submergés, affectés par la musique qu’on a envie de faire n’importe quoi… C’est une réaction à la montée d’adrénaline. Quand j’ai vu Suicide au Garage l’an dernier, Alan Vega s’est soudain penché et je me suis suspendue à la manche de sa veste comme une malade. Je l’ai entendu dire : « Lâche ma veste, pétasse, elle m’a coûté vingt dollars ». J’avais complètement perdu le contrôle, je ne fais pas ce genre de trucs en général. Ce n’est pas qu’Alan Vega soit spécialement beau, il a cependant une sorte d’aura très charismatique. Martin Rev, l’autre Suicide, est le plus beau mec du monde, à mon avis.

Steve : Il ressemble à un vieil oncle à côté de la plaque sortant du PMU.

Vos meilleures trouvailles en matière de synthés ?

Barry : Un Mellotron. On l’a acheté pour rien à un groupe de prog rock, Palace. Avant cela, il avait appartenu à Marillion et Procol Harum. L’avoir en tant que machine, pouvoir jouer dessus, offre une incroyable richesse sonore et harmonique, d’infinies possibilités de mélodies.

Ann : Il possède une belle structure, presque comme celle d’un matelas sur lequel on pourrait jeter des sonorités…

Comment êtes-vous perçus en Angleterre ?

Barry : On dit que nous sommes rétros. Tout ça parce qu’on utilise de vieux instruments. On déteste ce qualificatif, ça nous donne l’impression d’être un de ces putains de groupes à guitares genre Oasis. On en a ras le bol des Beatles, ils nous gonflent.

Steve : Déjà qu’on ne les aimait pas à la base…

Barry : En Angleterre, si tu n’es pas dans le Top 20 ou que tu ne passes pas au Top of the pops, tu ne vaux rien. Tous mes disques favoris sont en général plutôt obscurs. On nous perçoit comme complexes ou étranges, parce qu’on cherche à entraîner les gens dans notre propre univers.

Ann : Nous avons créé notre catégorie : le mouvement avant hard.

Votre opinion sur la science-fiction ?

Steve : Dans la science-fiction règne toujours cette problématique : le futur sera utopique ou dangereux.

Barry : Dans Forbidden planet, il y a une atmosphère qui transcende le film, qui nous inspire. Mais on retrouve cette impression dans Far from the madding crowd, Men in white suit ou The offense avec Sean Connery. Jean-Luc Godard compte beaucoup pour nous. Alphaville est dans l’esprit Add n : la musique et les images sont étroitement liées, la musique sert de ponctuation, d’architecture, va au-delà du film. Il n’y a pas de raison particulière de voir ce film, à part de s’y noyer, de se laisser hypnotiser. Notre musique est, avec un peu de chance, comme cela. Bruyante en surface, mais hypnotique en dessous, contenant des bribes de mélodies.

Ann : Quelqu’un m’a raconté que, lors d’un de nos concerts, il était partagé entre l’envie de rester et celle de partir. Il est resté et cela m’a fait penser à une scène d’un Godard, où il y a un énorme embouteillage, si long qu’on a l’impression d’y être coincé. J’avais envie de visualiser la scène en accéléré et, en même temps, de vivre l’expérience en temps réel.

Votre évolution ?

Barry : Nous voulons nous répandre dans l’univers. Construire un répertoire de plus en plus vaste. On a d’ailleurs physiquement de plus en plus d’espace. On habite une villa alors qu’avant on avait un petit appartement.

Ann : On stocke notre matériel dans une étable.

Barry : Au fur et à mesure que notre espace grandit, notre musique suit la même progression, notre utilisation des instruments est plus vaste. On s’autorise à commettre des erreurs.

Steve : Nous vivons l’opposé de la spécialisation en s’ouvrant à tout. A chaque fois qu’on fait un truc, de nouvelles possibilités s’ouvrent à nous, si bien que le monde s’ouvre à nous au lieu de se refermer.

Ann : Add n to (x) a choisi de se propager, à la manière d’un microbe.

Barry : Un vaisseau spatial à notre nom va voir le jour…

Ann : Un village, une grande rue aussi. Qui abritera le bar Add n, la boutique d’animaux Add n…

Barry : Il y a un label, mais il est secret et expérimental. Tous les participants gardent l’anonymat, on sort quelques petites choses, mais cela demeure confidentiel. Add n ressemble à un virus, il a ses propres forces. On crée notre art, nos peintures, on prépare un bouquin, un film, des scénarios.

Ann : Le site Internet va prendre une autre tournure. J’ai l’idée d’y mettre la ville Add n : les gens cliqueraient sur nos maisons et discuteraient avec nous. Ta chatte pourrait ainsi rencontrer la mienne, Chichi Creole Magenta.

Barry : On va explorer plus avant l’aspect visuel du groupe. Nous venons de terminer un dessin animé porno pour illustrer Metal fingers in my body.

Ann : Nous avons découpé un dessin dans un Lui des années 60. La vidéo les montre tous les deux (une brune sexy et un robot) en train de bien s’amuser sous l’air horrifié du caniche !

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