L’histoire du label espagnol Acuarela commence en 1993, quand trois étudiants madrilènes, déçus de ne trouver aucun échos dans la presse nationale de la musique qu’ils apprécient, décident de créer un fanzine, « Malsonando », bientôt suivi d’un magazine musical, « Spiral », dont la brève mais intense carrière marquera profondément la jeunesse espagnole et suscitera le renouveau d’une scène rock espagnole alors en pleine déliquescence.

En faisant découvrir aux jeunes hispaniques le meilleur de l’indie-rock anglo-saxon (The Auteurs, American Music Club, Palace, Smog), Jesus Llorente et ses deux amis ne se doutaient pas qu’ils créaient aussi les vocations musicales d’une nouvelle génération, qui ne demandait que de tels interlocuteurs pour s’exprimer, et qui n’allait pas tarder à leur envoyer une foule de démos autoproduites, nourries au miel folk-rock le plus goûteux.

De là, et après réception d’une maquette prometteuse signée Sr Chinarro, il n’y avait qu’un pas à franchir pour créer le premier label de rock indépendant vraiment influent en Espagne, Acuarela. Financé par de petits boulots, la première sortie Pequeno circo de Sr Chinarro, sera bientôt suivie de petits frères en 45 tours vinyles, d’artistes aussi divers et passionnant que Medication ou Paperhouse, installant la réputation du label, moins pour un genre musical revendiqué (qui oscillera entre post-noise et folk-rock), que, à la manière des anglais Factory ou Creation, pour un état d’esprit et une identité forte. Que d’aucun trouveront pourtant un peu sombre ou trop arty à leur goût… Les références littéraires et philosophiques étant toujours appréciées et encouragées sur Acuarela, à tel point que le label a récemment créé une division « littérature », accueillant Houellebecq, Debord ou Larkin.

En 1996, le label vit une période difficile financièrement, comme l’explique Jesus Llorente : « Les cinq premières années furent très difficiles, toujours au bord de la banqueroute… Au début nous étions plus une sous division d’Elefant Records (autre label espagnol passionnant), et il y avait quatre personnes qui travaillaient pour Acuarela. Lorsque trois des co-fondateurs ont quitté le label, parce qu’il ne croyaient pas en son avenir et en avaient assez des lettres de banquiers, j’ai décidé de faire un pas en avant en signant Mus, Migala et Astrud. Un mouvement extrêmement positif. Ces trois groupes ont permis, d’une manière ou d’une autre, de faire d’Acuarela un label financièrement viable. Ces deux dernières années, nous avons gagné assez d’argent pour payer la location d’un bureau, trois salariés, produire de nouveaux disque, organiser des concerts, etc. » (extrait d’une interview donnée au webmagazine Insound). Mais peu à peu, et en même temps qu’il réveillait le rock espagnol, Acuarela prit une dimension internationale, en produisant des singles d’artistes aussi réputés que Red House Painters ou Will Oldham. Celui-ci se prit d’ailleurs d’affection pour le groupe local Migala, auteur d’un premier album aussi sombre qu’enchanteur, Diciembre 3 a.m. A tel point remarqué que le groupe se retrouve vite en tournée avec le barbu de Louisville. Le deuxième album du groupe phare, Asi duele un verano, finira d’entériner la bonne réputation du label et la célébrité hispanique et américaine du groupe. La situation financière du label est désormais stable.

Depuis 1993, à travers la production, la distribution, l’organisation de concerts, tous ces groupes ont été mêlés à l’histoire d’Acuarela : Yogur, Pequeñas Cosas Furiosas, Medication, Throat, Revolution 9, Carmine, Beef, Paperhouse (ceux là ont plus ou moins disparus), mais aussi Pram, Lois, Moonshake, The Montgolfier Brothers/Gnac, Palace, Smog, The Magnetic Fields, Songs:Ohia, Papas Fritas, Laika, Mark Kozelek (Red House Painters) or For Stars, en plus des groupes réguliers du label : Migala, Sr Chinarro, The Clientele, Viva Las Vegas, Bitter Spring, Spokane, Piano Magic, Vitesse. La tonalité générale des dernières productions est folk-rock, glissant vers l’instrumental et la mélancolie, la cinématographie et la littérature, comme en témoigne la délicate collection d’aquarelles remises par un florilège d’artistes internationaux pour la compilation Acuarela songs. En plus du label et de la maison d’édition, Acuarela s’occupe de la distribution en Espagne de nombreux labels internationaux, comme Darla (Canada), Poplane (France), Bang ! (Belgique) ou Sabotage (Portugal). Acuarela est aussi en ce sens le meilleur promoteur des musiques indépendantes en Espagne. Et une explication parmi tant d’autres (le prix de la bière et de la drogue, les rythmes biologiques particuliers des espagnols) de l’extraordinaire activité pro-indie musique qui règne de l’autre côté des Pyrénées. Allez faire un tour à Bénicassim cet été pour vous faire une idée…

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