« Je sais ce que vous ressentez.
La première fois que j’ai vu ces images, je me suis dit :
Pourquoi mes yeux doivent-ils supporter ceci ? Pourquoi ? ».

Cette citation tirée du court métrage The Bogus Man est un compte rendu assez réaliste de ce qu’un spectateur non averti peut ressentir face aux films de Richard Kern et de Nick Zedd. A première vue vulgaires et gratuits, ces objets filmiques non identifiables sont restés quelques temps enfermés dans le cercle restreint d’un public constitué d’amis et de connaissances. Par la suite légèrement sortis de l’ombre, ils sont de nos jours connus de quelques amateurs de cinéma non conventionnel ou par certains fans acharnés de Sonic Youth… N’ayant pas la prétention d’avoir créé -encore- un nouveau mouvement au sein du cinéma underground ou expérimental, ces deux réalisateurs indépendants ont beaucoup travaillé ensemble pour créer deux œuvres assez proches -voire même complémentaires. En plus de réaliser des courts métrages indépendamment l’un de l’autre, ou en collaboration, ces deux artistes contemporains se sont aussi adonnés à la photographie, au clip musical et -plus récemment- à la littérature.

A partir du début des années 80, Kern et Zedd se sont engagés dans l’alternative (présente déjà depuis fort longtemps) au système hollywoodien. Mais contrairement à certains « puristes » du milieu, leur attachement aux formats super 8, 16mm et vidéo n’a jamais été dû à une question d’éthique -les imperfections de ce genre de supports rentrant en cause significative dans leurs thèmes abordés. L’impureté est tout simplement utilisée ici comme un instrument au service des films. Principalement acharnés contre le politiquement correct croissant d’une Amérique reaganienne, les deux réalisateurs ont dès lors développé une série de films qui se caractérisent par une aversion aux belles images factices données à voir tout autour de nous. Ces courts métrages relativement malpropres tournent en général autour de l’anormalité, du gore, du porno… Plus simplement, autour des bas-fonds psychologiques refoulés par un pays trop bienveillant quant à son image de marque. A l’inverse d’un John Waters (il est vrai que le rapprochement est assez tentant…) qui a utilisé le mauvais goût comme une fin en soi, comme une unique raison pour faire des films, le malsain est ici directement utilisé comme une arme contre l’Amérique bien-pensante. Richard Kern et Nick Zedd hurlent une réponse violente à un mode de vie imposé par sa propre représentation. Pour mieux être défigurées, ces figures sont parfois même reprises. You Killed Me First de Richard Kern ouvre par exemple sur le repas d’une belle famille, où chacun applaudit maman qui a cuisiné une bonne grosse dinde…

Cette représentation du foyer parfait se trouve dès lors très perturbée lorsqu’on s’aperçoit qu’un des membres est une jeune fille vulgaire, insultante et reniant tous principes enseignés par ses parents. En recréant le modèle familial type, tel qu’il est représenté aux États-Unis, Kern insère dans son film un élément perturbateur nettement plus proche de la réalité américaine. La scène d’ouverture du film -ponctuée de faux raccords et de plans approximatifs- renforce cette intrusion du désordre dans la représentation d’une réalité factice… La rencontre entre ces deux extrêmes se termine d’ailleurs en un inévitable bain de sang. Beaucoup plus métaphorique, la fiction paranoïaque The Bogus Man de Nick Zedd est peut-être le film reflétant le plus l’œuvre torturée du cinéaste. Présenté sous la forme d’un documentaire illégal tourné à l’insu des autorités, le film s’ouvre sur un homme cagoulé qui nous explique que le président des États-Unis aurait été enlevé à la suite d’un complot entre la C.I.A. et un groupe de scientifiques. En lui arrachant ses doigts, ces derniers auraient créé dix clones du président destinés à gouverner le pays. Les diverses tentatives de meurtre du clone au pouvoir s’étant toujours soldées par l’arrivée d’un autre clone pour le remplacer, le protagoniste en arrive à nous expliquer que l’unique solution pour faire disparaître le « Bogus man » est de ne plus voter pour lui… Seule manière pour la population de ne plus se laisser manipuler par un état qui remplace régulièrement un pantin toujours actionné par les mêmes ficelles.

Avec Police State, autre court métrage de Nick Zedd, le réalisateur dresse un portrait de la police new-yorkaise. Toujours lié au thème des images reçues, ce film met en scène un jeune homme embarqué au commissariat -à cause de son « allure louche ». Et ce, par un flic raciste contraint de respecter son supérieur noir. Un décalage nous est donné à voir entre l’attitude du policier dans la rue -celui discute gentiment avec les bons américains moyens- et celle adoptée dans le commissariat face au « délinquant » qu’ils torturent quasiment à mort… Ces diverses « attaques » envers un système produisant à la chaîne des individus formatés à la norme adéquate ont aussi été tournées pour atteindre brutalement la conscience du public. Richard Kern a souvent signalé au cours de ses interviews vouloir choquer le spectateur. Si bien qu’au final, lorsque l’on voit des films comme The Manhattan Love Suicides (série de quatre court métrages mettant en scène quatre absurdes morts différentes) ou The Rigth Side of my Brain (moyen métrage avec la magnifique Lydia Lunch, qui nous invite à visiter la conscience déchirée d’une schizophrène), l’étonnement ou même le dégoût sont de fréquentes premières impressions. Ces films n’ont absolument aucune autre prétention que celle de nous montrer des images décalées, en marge d’un cinéma conventionnel. Ceci, à l’aide d’histoires insensées, d’une réalisation loin d’être perfectionniste et de musiques assourdissantes… Les morceaux industriels de Wiseblood, des Butthole Surfers, le rock abrutissant du Dream Syndicate ou encore les compositions bruitistes de Lydia Lunch renforcent profondément le caractère sauvage des films. Ces ambiances sonores qui nous déchirent les tympans vont tout autant à l’encontre du conventionnel puisqu’il s’agit de mélodies ultra répétitives ou encore de non mélodie. A titre d’exemple, le terrible morceau saccadé de J.G. Thirlwell, dans The Manhattan Love Suicides est -à l’exception de trois notes de piano- entièrement composé de percussions métalliques et sonorités de boîte à rythmes saturées… et ça dure 10 minutes…

Ces jolis films à regarder en famille le jour de Noël sont disponibles, chez le distributeur Haxan video, sous les titres suivants :
Hardcore I et Hardcore II, pour les films de Richard Kern
Generation Z, pour les films de Nick Zedd

Sur la Toile :

Richard Kern
http://www.nerve.com/kern
http://www.Richardkern.com

Nick Zedd
http://www.nextgen-video.com/NickZedd
http://cinemedia.net/SFCV-RMIT-Annex/dirk/nickzedd.html

Lydia Lunch
http://www.angelheart-trading.com/lydia/LydiaHome.htm

Sonic Youth
http://www.geffen.com/sonic-youth
http://www.algonet.se/~fdaneby/sonicyouth.html
http://www.geocities.com/SunsetStrip/9526/sonic-youth/