Adapté librement de La Conscience d’Italo Svevo, Zeno reprend deux chapitres du roman en les transposant de Trieste à Rome. Loin de rendre plus chaleureuse l’atmosphère crépusculaire du livre, cette migration du récit ajoute au trouble provoqué par Zeno : Rome y apparaît sous un jour singulier, loin de toute approche touristique, s’enveloppant d’ombres et de lueurs sorties d’une étrange nuit parallèle. L’histoire est donc celle de Zeno, sombre jeune homme qui, à la suite de la disparition de son père, se retrouve seul face à lui-même. S’immisçant peu à peu dans une famille de riches bourgeois, il découvrira l’amour par le biais de trois soeurs radicalement différentes : Ada, comédienne avec laquelle il connaîtra les affres d’une passion contrariée, Alberta, jeune fille fantasque qui le rejettera très vite, et enfin Augusta, dans les bras de laquelle il trouvera amour et réconfort.

Francesca Comencini impose une mise en scène en porte-à-faux, qui trouble par sa façon d’insuffler une sensualité sourde et contenue dans un système en apparence froid et terriblement rigide. Les passages d’une soeur à l’autre sont à l’image du film, basculements insidieux d’un romanesque étouffé qui, sous des allures assez convenues (pas de surprise ou de suspense dramaturgique ici), avance comme les yeux fermés, avec la fluidité d’un rêve éveillé qui se poursuivrait sans discontinuer. Toute la puissance du film tient dans cette propension à dérouler sans heurts sa trame douce et mélancolique. Cette impression de perfection lissée est renforcée par une réalisation tirée à quatre épingles, dont l’apparente stylisation découle moins d’une volonté d’aplanissement esthétique que d’une sorte de tentative un peu vaine -et assumée comme telle- de masquer le gouffre au-dessus duquel Zeno joue les funambules. Son avancée feutrée sur les fils d’un récit ténu et suspensif ne font que renforcer la présence de l’abîme sans fond sur lequel il repose. De cet art de la suggestion très maîtrisé naissent quelques scènes d’une beauté fulgurante, qui semblent littéralement casser l’écorce du film : souffle provoqué par le passage d’une beauté pâle et furtive ; gros plan sur des mains d’une indicible finesse ; larmes, enfin, qui jaillissent comme une lave incandescente dans les ombres du récit.

Il faut souligner l’interprétation prodigieuse des acteurs : Fabrizio Rongione, à la démarche ombrageuse et transie, Chiara Mastroianni, froide comme une nuit sans tain, et surtout Claudia Colli, dont la beauté évanescente tend au sublime absolu. Zeno fait partie de ces films faussement mineurs qui laissent une trace d’autant plus puissante que leurs effets fonctionnent comme à rebours, faisant mine d’effleurer le gouffre, de ne jamais le toucher, pour mieux se laisser complètement happer par lui. La figure du père, omniprésente dans le film, ramène à cette idée que Zeno, le film, fait revivre sous nos yeux les gestes du grand cinéma italien dont il pourrait être le fils.