D’abord réservé à la télé américaine, Woody Allen : A Documentary sort en salles chez nous, chez les fans – la France reste le pays où les films de Woody Allen font le plus d’entrées. Honorable pour la télé, le film est un peu à la peine sur grand écran, où lui manquent un angle solide et un réalisateur un peu plus présent que Rober B. Weide, qui fut longtemps aux commandes de Curb your enthousiasm et se contente ici de retracer le parcours, rectiligne comme une frise chronologique, de son modèle – tout y coïncide strictement avec ce que Woody Allen montre de lui-même. Entre le télévisuel et le cinématographique, Woody Allen : A Documentary ressemble à un idéal bonus DVD.

Coller au biographique c’est exiger d’avoir à ses côtés Woody Allen, ici omniprésent, et donc se refuser le droit d’une biographie non autorisée (le scandale avec la fille de Mia Farrow, par exemple, n’est qu’effleuré). Pour autant cette dimension purement bio-anecdotique n’est pas déplaisante. On apprend qu’Allen haïssait l’école, que depuis son premier film il tape toujours ses scénarios sur la même machine à écrire et qu’il accumule les petits synopsis prêts à être filmés. Ce qui est assez beau, surtout, c’est ce que le documentaire montre de la trajectoire du cinéaste, à la fois fragile et assurée : passant du stand-up au film à sketches, puis de ses propres films à sketches à ses comédies sérieuses avec l’assurance de celui qui, doué de prescience, précipite son destin pour atteindre la forme pleine et pure de son art – la comédie romantique. Doucement le cinéaste apparaît, jusqu’à devenir ce qu’il est aujourd’hui : culte et inégal (inégalité que tend à nous faire oublier le documentaire), et tournant un film par an parce que, il le dit lui-même, il préfère miser sur la quantité pour faire apparaître, par chance, la qualité. Et la comédie allenienne est quant à elle devenue un véritable genre en soi, d’une telle évidence et d’une telle influence (voir dernièrement le consternant 2 days in New York) qu’il devient difficile de la penser. De ce point de vue, Woody Allen : A Documentary a au moins le mérite de rappeler, quoique trop brièvement, le contexte d’apparition et de réception de sa première comédie sérieuse en forme d’ovni : Annie Hall.

Au Festival de Cannes, où il est venu présenter Midnight in Paris, Allen apparaît effroyablement mal à l’aise face aux applaudissements et aux compliments, très grinçant quant il faut répondre au public (un admirateur dit « l’Allemagne vous aime » et Woody répond : « Ah vraiment, toute l’Allemagne ? ») incapable de jouer le jeu de la mascarade cannoise. Cet air-là on le retrouve dans les rues de New York, quand il signe un autographe à une passante : mi-dégoûté, mi-apeuré, comme si la caméra captait la version non traitée, non sublimée du pessimisme misanthrope qui innerve son cinéma. Lui-même le dira à la fin, il a fait tout ce qu’il voulait faire, aucun de ses désirs n’a été frustré. Malgré cela, une impression persiste, celle de s’être encore fait avoir. Phrase conclusive qui laisse l’impression que Woody Allen fait des films comme pour s’éloigner toujours un peu plus de ce bloc brut et intranquille de pessimisme, comme pour le dégrossir jusqu’à atteindre via ses héros une forme présentable de ce qu’il est, et devenant lui-même ce qu’il n’a cessé de mettre en scène : un pessimiste chanceux.