Quelques mois après Fighter, revoici une histoire de ring et de frères poids lourds. Cette fois le film est moins rock, plus lyrique et ténébreux. Un Marine héros mais déserteur (Tom Hardy) revient d’Irak les poches vides. En vue d’un tournoi d’arts martiaux mixtes dont le prix s’élève à cinq millions de dollars, il demande à son père alcoolique (Nick Nolte) de l’entraîner malgré le profond mépris qu’il lui inspire. Aucun des deux hommes n’a plus de contact avec l’autre fils (Joel Edgerton), devenu professeur de physique, père exemplaire et mari dévoué. Des problèmes financiers vont le contraindre, lui aussi, à participer au tournoi. Les deux frères s’affrontent sur le ring, et le père, oublié, mis de côté, assiste à cette lutte qui même dans la violence permet à ses fils de se tenir l’un en face de l’autre, d’entrer en contact. Dans ce film, l’adversaire se met moins KO qu’il ne s’immobilise. C’est par l’étreinte, à tendance passionnelle, que les personnages font avancer Warrior, dont le récit se tisse en nœuds de muscles et de nerfs. Il ne s’agit plus seulement de savoir encaisser (stratégie dont Rocky, héros christique, s’était fait le grand spécialiste, et que décrit également David O. Russell dans Fighter) : ici la lutte se fait au plus près des corps, sur un fil entre la résistance et l’abandon, la fureur et l’épanchement.

Tout le film est à l’image de cette « touche » irrésolue, ce point limite du combat où quelque chose de simplement humain et fraternel semble pouvoir faire retour. Dans Warrior, on se brouille, se sépare, se renie, se heurte mais on ne desserre pas l’étreinte. C’est ce fils qui insulte et humilie son père mais revient dormir chez lui ; c’est cet autre fils, fâché mais toujours dans les parages ; ce sont ces deux frères séparés mais acceptant de combattre et de se plier aux mêmes règles du jeu. Un double élan de simplicité brute et d’humanisme traverse le film, identifiable aussi dans cette façon de prendre à bras le corps le mythe du héros américain pour tenter de le relever, au mépris d’une déréliction militaire, économique et familiale. Comme beaucoup de grands films américains tournés depuis les années 70 (on pense surtout à Eastwood, et à Cimino), le mélancolique Warrior regarde vers le temps mythique des héros déchus (en l’occurrence ici, Rocky), s’échine à panser leurs blessures et tente, jusqu’au bout, de les remettre sur pied.

Par endroits, le film prend même l’allure d’un véritable revival et épouse certains aspects des Rocky, notamment le fameux entraînement accéléré, sur fond musical assommant (ici, une affreuse version de l’Ode à la Joie, avec batterie et guitare, en guise d’hymne RTL). Que l’entraînement soit bâclé dans Rocky comme dans Warrior n’a finalement rien d’étonnant : le « corps glorieux » du boxeur américain nécessite moins d’être forgé que révélé. Et c’est aussi pourquoi le héros boxeur, pendant les trainings, soumet le film même à sa toute-puissance, rétracte le temps (accéléré), dilate l’espace (l’entraînement doit avoir l’air de se dérouler partout à la fois). Comme Rocky 4, le film de Gavin O’Connor met en scène un training double (deux concurrents s’entraînent en même temps, chacun de leur côté). Mais si Rocky 4 opposait le Russe et l’Américain en montage parallèle, dans Warrior l’altérité est loin d’être aussi clairement définie (deux adversaires, mais deux frères). Elle pose même un véritable problème, et fait littéralement éclater l’image en un split-screen mosaïqué.

C’est sur une Amérique fissurée, lézardée de partout que Gavin O’Connor décide d’entériner les héros d’avant, plus tout à fait aussi fiers (Hardy et Edgerton se moquent de ce qu’ils peuvent incarner, et ne se battent que par absolue nécessité), plus sûrs d’être aussi affirmatifs et confiants que pendant les années Reagan. Entre les personnages de Warrior, tous contradictoires, on se serre, on lutte, on s’embrasse mais la réconciliation, lorsqu’elle arrive, paraît tellement physique qu’on la soupçonne d’être seulement provisoire. A cet égard tout le film se fait provisoire, posé sur un fil entre lyrisme et réalisme, croyance et désillusion. Nick Nolte, vieux chêne toujours à la lisière de l’ébranlement, gros rocher qui pleure et balbutie, est peut-être parmi le trio d’acteurs celui qui incarne le mieux cette ambivalence (on pense parfois au shérif d’Affliction, l’un de ses plus beaux rôles). A la fin Nolte se trouve dramatiquement écarté du corps-à-corps entre ses deux fils, par l’enceinte du ring. Personnage magnifique, obsédé par Moby Dick dont il écoute sans cesse le texte au walkman. D.H. Lawrence écrivait, à propos de ce livre : « Nous sommes condamnés, condamnés. Et la condamnation est en Amérique ».