Non content d’être l’un des plus prolifiques cinéastes nippons (avec pas moins de cinq films tournés pour l’année 2001 !), Takashi Miike est aussi le plus déjanté. Après The Audition et sa mémorable séquence de torture finale, voici donc Visitor Q, soit le portrait d’une famille japonaise modèle par un Miike qui n’a peur d’aucun tabou. Au programme des réjouissances, un père couche avec sa fille, une mère se shoote à l’héroïne pour oublier que son fils la tabasse tandis que ce dernier est lui-même la tête de turc de ses camarades de classe. Evidemment, résumé comme cela, le film a de quoi effrayer n’importe quel spectateur lambda et l’on n’est pas loin de penser que Miike sombre dans la provoc’ facile, surtout avec ses intertitres du début qui haranguent le public : « L’avez-vous déjà fait avec votre père ? ». Mais ce serait chose trop facile que de réduire ce film à une simple pochade racoleuse. Remake lointain du Théorème de Pasolini à qui il emprunte sa trame de base -un inconnu s’introduit au cœur d’une famille et y provoque nombre de bouleversements-, Visitor Q peut être vu comme une allégorie tragi-comique de la société japonaise et de ses démons -la fascination du mâle nippon pour les collégiennes en uniforme, la violence croissante chez les plus jeunes, et le tout à l’image avec l’omniprésence des DV.

Pourtant, Takashi Miike ne semble pas avoir pour objectif premier la dénonciation des dérives de ses pairs, son film est trop fou et poétique pour être ramené à cette intention quelque peu consensuelle pour un cinéaste aussi azimuté que Miike. Un cinéaste capable de filmer des scènes d’inceste ou de nécrophilie dans le cadre d’une commande portant sur le thème de l’amour (cinq autres films « Love cinéma » ont été tournés, inutile de préciser que celui de Miike est le plus fêlé du lot), le tout dans la joie et la bonne humeur. Car, même si cela peut paraître difficile à croire, Visitor Q est aussi une comédie hilarante qui n’est pas sans rappeler la truculence d’un Marco Ferreri dans sa manière de cumuler les situations limites : voir la scène où les seins de la mère débordant de lait inondent la cuisine de l’appartement. Tourné en l’espace de cinq jours avec une caméra DV, Visitor Q est un rare exemple d’oeuvre portée par un esprit qui se contrefout royalement de la bienséance, laissant libre cours à une imagination particulièrement déchaînée. En ces temps de frilosité ambiante (voir l’affaire Rose Bonbon et la censure sur le prochain film de Philippe Barassat, Le Nécrophile), les délires azimutés d’un Miike font plus que du bien.