Vert paradis est un film en pointillé, par la manière dont il sépare et réconcilie (éventuellement) ; par le tissage ou le métissage qu’il propose et dont il pointe l’échec ; par la manière, enfin et prosaïquement, dont il avance de plans en plans disjoints. La réunion est pourtant l’objectif de Lucas (Denis Podalydès – cf. notre entretien), sociologue normalien de retour sur sa terre d’origine, le Béarn, pour une enquête sur le célibat -on aura reconnu le fantôme : Bourdieu-(le)-père, dont les enquêtes sur le même sujet sont le terreau du film. Double réunion plutôt : à la fois retour au pays natal de l’intellectuel parisien (les « racines ») et retour au « vert paradis des amours enfantines » de Baudelaire, qui donne son titre au film. En filigrane se joue autre chose, plus décisif. Moins une réunion qu’une tentative de greffe entre une Figure -l’intellectuel parisien, toujours lui- et un paysage inédit. Emmanuel Bourdieu est par excellence le cinéaste (et le scénariste, surtout avec Comment je me suis disputé… de Desplechin) des atermoiements de penseurs -dans Candidature, son moyen métrage, Denis Podalydès incarnait déjà un jeune agrégé de philo. Alors, comme pour s’en dédouaner maintenant que les années 90 sont loin, il envoie son Paul Dedalus aux champs vivre un drame de l’hétérogénéité. Lucas, donc, retrouve ses amis d’enfance : Isabelle (Natacha Régnier, excellente), finalement montée à Paris, et Simon resté au village, dans sa ferme. Isabelle et Simon se sont aimés, devaient se marier, mais finalement non. Lucas les interroge pour son enquête, séparément, mais par hasard ils se retrouvent chez lui. Malentendu : Isabelle dit à Lucas qu’elle l’aime, lui comprend qu’elle aime encore Simon. Il se met en tête de les remettre ensemble.

A ce récit d’une illusoire réconciliation et l’indécidabilité toute parisienne qu’il charrie, se superpose un autre (le pourquoi du non-mariage de Simon et Isabelle) franchement du côté d’un suspens pastoral sans plus de relief que intrigue familiale d’un téléfilm France 3 régions, et filmé pareil. Il n’est qu’à voir Clovis Cornillac en paysan de carnaval, gapette fossilisée sur la tête, en parfait stéréotype, trop cliché pour être vrai. Le film s’abîme volontiers dans la dissonance, selon un mouvement contradictoire consistant à écarter les deux composantes (les deux récits, les deux paysages). Et cela, même dans la façon de faire. Dans la scène centrale du bal, le film fonctionne quasiment un plan sur deux, ou deux sur trois. Chaque mouvement réussi (de danse, surtout) est comme interrompu par un plan faible, atone, sans vie et sans saveur. On en vient presque à soupçonner le film de faire preuve de mauvaise volonté, de s’empêcher d’être entièrement convaincant. Le recours forcené aux stéréotypes sert de mise à distance du territoire que ce cinéma-là ne peut arpenter sans céder un peu de lui-même. C’est l’honnêteté de Vert paradis, sa limite aussi, de faire avec cette distance, de ne pas prétendre la résoudre d’un coup de crayon.