Après Last time in the universe, Pen-ek Ratanaruang revient au solstice du cinéma asiatique entre réappropriation du film de genre et étirement envoûtants des espaces. A priori, Vagues invisibles pourrait souffrir de ce mixage tant il semble complaisant et incolore, perdu dans les volutes festivalières des plans fixes, d’une abstraction volontiers teintée d’exotisme. Et pourtant, le film se trouve en tâtonnant, dénichant dans ses excès de rien un envoûtement singulier, une tension, un mystère cotonneux. L’intrigue relève du pur exercice du polar : un jeune homme rembourse une dette en tuant la femme qu’il aime et s’enfuit en Thaïlande par le premier bateau. Il y rencontre une autre femme, la fuit puis la retrouve avant d’être rattrapé par son passé.

Pen-ek Ratanaruang délaye la culpabilité du personnage, il en barbouille chaque recoin du cadre au point que le polar se trouve perdu dans un espace-temps polymorphe aux contours hasardeux. Soit le vide total (le début à Macao, tout en plans larges et lignes claires qui s’évanouissent à l’infini), soit le confinement minimal (la cabine du bateau, cellule glauquissime, à la fois graphiquement molle et verrouillée de l’extérieur), soit au contraire le bourdonnement d’une ville pleine de chausse-trappes et d’impasses où verticalité et horizontalité se télescopent. L’intérêt du film tient autant à trouver une incarnation, un espace à définir qu’à son extraction soudaine, son envie de brouiller les cartes par pur refoulement.

C’est là tout le brio du cinéaste : fusionner le plaisir de la fuite en avant et celui du refuge mental, en dessiner la gracilité extrême. Le monde extérieur n’est ni spécialement hostile encore moins inexistant, il est simplement posé là comme matière nourricière ou absorbante. Il y a dans ce cinéma un travail d’adaptation par simple plaisir du désoeuvrement, de réglage hasardeux par nécessité d’errance qui donne au film à la fois une tension nerveuse (fuir, se venger, se questionner) et son exact contraire (se perdre par dépit, accepter la douleur d’un brusque passage à tabac). Harassant par son flottement incessant, sa volonté de pendre à contre-pied chacune de ses intentions, Vagues invisibles n’en reste pas moins une démonstration de précision et de rigueur.