Tant pis, avouons : on ne sait déjà plus très bien de quoi parle exactement Utopia. Mais son affiliation au genre de moins en moins supportable du thriller mystico-ésotérique espagnol fonctionne comme parfait pense-bête. N’y aurait-il pas là une affaire de secte, de société secrète, d’élus, de sacrifices, un truc dans le genre ? Si, bingo. A relire le synopsis, nulle surprise : un don (celui de Cassandre), un club réunissant les porteurs du céleste talent, un embrouillamini général dont on est soulagé d’avoir oublié les ressorts et rebondissements. Plus précisément : au moment où il reçoit la visite d’un jeune Espagnol chargé d’un message personnel, l’inspecteur Tchéky Kario assiste impuissant à la mort de sa petite famille, tuée par un human bomb ayant pris soin de graffer « utopia ». Il en perd la vue, et se consacre désormais à l’élucidation du mystère. Car mystère il y a, la preuve : le jeune héros du film lit le futur en saignant du nez, et tout un petit monde occulte (dont José Garcia) se met à la recherche d’une fille de bonne famille, laquelle serait une super-Cassandre… Ou quelque chose comme ça. En tout cas, le sort de l’humanité est sans doute entre leurs mains.

Nouvel épisode du fameux jeune cinéma de genre espagnol, qui tourne décidément à la mascarade, Utopia en condense sur un versant plus soft ­moins horreur millénariste que polar x-filesien­ les maigres tenants et aboutissants : un decorum vilain filmé jusqu’à la lie, un ton ultra-grandiloquent (entre puérilité de l’affabulation et sérieux de pape quand il s’agit d’évoquer fin du monde, destin de la création ou salut des âmes), une série de variations intimistes de romans de gare. En même temps y est professé une espèce de no man’s land idéologique ou politique, un déni général du corps social, fouillé comme un poulet mort par tout un tas de groupes de l’ombre (éternel scénario paranoïaque du complot). Aussi la pensée zéro y travaille, comme elle peut, entre les lois du genre et la déréglementation absconse d’un cinéma persuadé d’être beaucoup plus intelligent qu’il ne l’est.