Après Les Garçons de Fengkuei et Un Eté chez grand-père, Un Temps pour vivre, un temps pour mourir clôt en beauté la trilogie autobiographique de Hou Hsiao-hsien. Le film retrace en effet trois moments de la vie du jeune Ah-Ha (alter ego cinématographique du cinéaste) : d’abord son enfance insouciante, puis son adolescence agitée, enfin son entrée dans l’âge adulte avec la perte de certaines illusions. Cette épopée intime s’enrichit d’une dimension historique, par la volonté du cinéaste d’inclure le quotidien de sa modeste famille dans le Taiwan des années 50-60. Hou Hsiao-hsien s’intéresse avant tout à l’interaction entre son héros et l’univers qui l’entoure. Il nous offre alors une vision des rues, des occupations de la jeunesse taiwanaise, et de l’atmosphère de l’île, proche du documentaire. Cette volonté de capter quelque chose de l’air du temps est une véritable constante dans son œuvre. Elle aboutira par la suite aux très beaux Poussière dans le vent et Good bye south, goodbye.

Formellement, le désir de situer son personnage dans un contexte signifiant se traduit par l’utilisation de plans fixes et distants, par lesquels la relation sujet-décor prend vie. Par extension, le cinéaste se refuse à utiliser les gros plans, pour n’approcher ses personnages que par des plans moyens. Les moments de forte intensité sont ainsi filmés avec le même recul que les plus triviaux. On aurait pourtant tort d’assimiler cette neutralité de ton à la transparence d’une mise en scène classique. Toute en nuance, celle-ci se mesure à l’échelle plus modeste des cadrages, des constructions de plans, et de la longueur de ceux-ci. Hou Hsiao-hsien exprime un sens de la durée qui aboutit parfois à une quasi fixité de l’action. Propice à l’évocation d’une autre époque, la position en retrait de la caméra participe subtilement au sentiment de nostalgie que l’on éprouve. A l’instar de la mélodie surannée qui accompagne l’histoire, le film est entouré d’un halo de tristesse, comme si l’évocation de ses souvenirs par le cinéaste était obligatoirement teintée d’une obsédante mélancolie.

Ce sentiment d’une perte indéfinie nous est révélé dès la première image, figurant la chaise vide du père.
Par la suite, des plans inhabités viendront régulièrement ponctuer le récit, faisant du long métrage de Hou Hsiao-hsien une des plus belles œuvres sur l’absence. C’est d’abord le regret de la patrie d’origine, incarné par la grand-mère qui nourrit l’espoir chimérique de revenir sur le continent. Mais c’est aussi la perte des êtres qui nous sont chers, s’exprimant par l’insistance du cinéaste à filmer les deuils successifs qui affligent la famille du héros. Un Temps pour vivre, un temps pour mourir évoque ces moments qui forment une vie, quand certains la quittent et d’autres la subissent.