Premier film d’Antoine Santana (fidèle bras droit de Benoît Jacquot dont il est l’assistant depuis plus de 10 ans), Un Moment de bonheur raconte la rencontre de deux personnages en fuite. Philippe, 25 ans, vient d’Orléans et arrive à Arcachon, où vit sa sœur, pour servir dans un restaurant. Il y croise Betty, jeune maman qui vient de s’installer avec son fils Damien dans l’appartement voisin. Dans une audacieuse boucle narrative, le film fait se rejoindre tragiquement leurs parcours : un matin, après une altercation avec son patron, Philippe prend la fuite en volant une camionnette, puis un flash-back nous raconte l’histoire de Betty, aux prises avec un père intolérant et violent, et dont le fils, perturbé et solitaire, s’évade le même jour de l’école…

Le tour de force de Un Moment de bonheur est de s’organiser autour de cette notion de « timing », non pas le minutage d’un film d’action, mais au sens d’intersection temporelle, un recoupage qui va permettre la rencontre de Betty et Philippe, leur offrir un moment de bonheur dans l’ignorance des circonstances malheureuses qui les ont menés là. Il y a donc avant tout une belle figure de scénario, à laquelle sont malheureusement asservis les autres éléments du film. Plus précisément, Un Moment de bonheur souffre d’un grave déséquilibre : la relation de Betty à son enfant, sa vie de jeune mère confrontée aux exigences de la société (l’éducation, le travail) et à la violence de son père -Olivier Gourmet, toujours efficace dans le rôle du père louche et inquiétant- inspire beaucoup plus Antoine Santana que le parcours de Philippe, personnage moins défini et creusé que Betty. Malgré la prestation très honorable de Malik Zidi, Philippe reste une figure en creux, primaire dans sa solitude et sa révolte, un héros qui, pour être trop vu de l’intérieur par son auteur -piège de l’identification- est finalement dépourvu d’intériorité.

Un Moment de bonheur émeut aussi grâce à la justesse de la relation trouble, mais intense, de Betty à son fils : leur différence d’âge est minime, ils sont presque frère et sœur, et Damien épouse à sa manière la révolte de sa mère. Dans ce faisceau de relations et d’influences (parentale, sociale), le refus du passage à l’âge adulte de Betty fait que son personnage échappe à la conformité, sa propre enfance est grandie par son amour pour son fils. Et l’on se dit que le film à faire était là, et non dans la fidélité à un scénario qui, à l’écran, apparaît comme un « bricolage » narratif -toute la première partie du film reste lettre morte, et empêche la rencontre entre Philippe et Betty de devenir le coup de foudre qu’il prétend être.