On peut saluer la sortie d’un moyen-métrage en salles, phénomène plutôt rare qui permet de mettre un peu de lumière sur un format un peu sauvage, sans lisibilité, cherchant sa place entre le court et le long. Un moyen-métrage réussi, c’est d’abord un film qui trouve sa temporalité propre, ni super-court ni embryon de long . C’est le cas d’Un Fils, film qui s’attaque à un sujet a priori archi-rebattu : Selim, un jeune homme, se prostitue la nuit en compagnie de son amie Louise. Le dimanche, il déjeune avec son père, qui vit reclus chez lui dans le deuil de sa femme. En premier lieu donc, histoire de secret et de mensonge, et avec elle retour au problème récurrent de l’incommunicabilité entre un père et son fils.

Vu sous cet aspect, le sujet d’Un Fils évoque le ventre mou d’un cinéma français grisou et sans diversité, une structure dramatique (l’intimisme nombriliste) et un cadre esthétique (le naturalisme) qui ne sortent guère des sentiers battus. Amal Bedjaoui a heureusement pour elle de sembler particulièrement concerné par son sujet, suivant pas à pas, dans ses gestes et fuites quotidiennes, son personnage principal. L’aspect plus ou moins racoleur du sujet, descente aux enfers et errance sexuelle comme on en a vu beaucoup d’autres, n’est jamais mis en avant. Au contraire, Bedjaoui filme toute scène, intimiste, familiale ou sexuelle, avec la même douceur, refusant la crudité et la complaisance sans rien céder pour autant sur le terrain du réel. Ce réalisme pudique est trop rare dans le cadre du court et du moyen français, fertile en exhibitions pathétiques, en nihilisme de posture, et ramène d’un coup un souffle de vérité dans ce champ désertifié.

Tout dans le film est marqué par cette pudeur, une dignité du regard qui parvient à capter le désespoir du héros sans jamais en faire une bête de foire Le freak social, qu’il soit jeune travesti (Selim) ou père de famille homosexuel (le personnage du client incarné par Aurélien Recoing), n’est à aucun instant soumis à l’épreuve d’un jugement moral. Vagabondage existentiel à la sourde beauté, plein de tact et de retenue (magnifique scène de la rencontre entre Louise et le père de Selim), Un Fils parvient, sur la longueur, à un degré d’intensité et d’envoûtement à rendre jaloux bon nombre de long métrages plus ambitieux.