Deuxième collaboration de Bryan Singer et de son scénariste Brandon Boyce après le succès inattendu d’Usual Suspect, Apt Pupil (adapté d’une nouvelle de Stephen King) poursuit les tentatives de destabilisation du spectateur. Todd Bowden, un adolescent brillant, à la suite d’un cours d’histoire, se fascine pour l’holocauste, et poursuit ses propres recherches en bibliothèque. Un soir, il reconnaît dans un bus, en la personne d’un petit vieux, un ancien chef nazi, le directeur du camp de Patin, Kurt Dussander. Il se rend chez celui-ci, et l’oblige, sous la menace, à lui raconter les détails de ses crimes… Il y a là, déjà, contenue, toute la matière qui faisait d’Usual Supect un film relativement intéressant pour les circonvolutions de son récit, mais fort décevant au final, pour son côté malin et roublard. Apt Pupil, plus simple dans sa construction, propose aussi une fin surprenante et atypique qui, cependant, s’intègre mieux à l’ensemble. On retrouve, avec une différence notable quant à la position du spectateur le même face-à-face qui tourne au rapport de force entre un narrateur (Kaoeser Sauze dans Usual Supect, Dussander, ici) poussé à raconter une histoire et son interrogateur (l’inspecteur chargé de l’enquête là, Todd l’ado ici). Moteur du récit, ce jeu du « chat et de la souris » interroge le spectateur sur sa position. C’est que le cinéma de Singer tente de lui donner une place dans le dispositif cinématographique, en le prenant en otage, du scénario, de l’intrigue, du rapport même qui se joue entre les personnages. Piégé, comme l’inspecteur, dans Usual Suspect ou, et c’est la différence, « complice » dans Apt Pupil, car détenteur de secrets importants (la véritable identité de Dunker par exemple) et témoin impuissant du basculement de l’adolescent, le spectateur d’un film de Singer ne cesse d’être malmené. Pour déjouer les attentes, la paire Singer-Boyce se plaît à rester en marge des genres codés hollywoodiens, détournant tant le récit d’apprentissage (auquel Apt Pupil fait référence, de L’Ile au Trésor de Fleming à Un Monde parfait d’Eastwood) que le film de procès. Ce qui pèse constamment sur Dunker/Dussander, c’est son procès pour crimes contre l’humanité. Or, Apt Pupil, film d’un « mauvais genre » en ce sens qu’il déroge aux règles classiques, renonce à chaque fois à mettre le film sur les rails du « film de procès », ce qui aurait pour effet d’une part de donner au spectateur des clés pour la suite et d’autre part de le soulager d’un secret de plus en plus lourd à porter seul, puisqu’il serait mis sur la place publique.
Pourtant le film devient intenable lorsque de manière désinvolte, et pour lever sans doute aussi toute ambiguïté, il se charge lui-même de le faire, ce procès. En deux séquences, le « cas Dussander » est réglé : dans la première, le fait de reporter un uniforme « réveille » le nazi pour que dans la seconde, totalement remonté (comme un mécanisme d’horlogerie), celui-ci tente de gazer son chat. C’est la solution finale expliquée à l’Amérique et Singer de dire dans une interview : « l’animal est absolument pur, innocent et sans défense -comme les victimes de l’Holocauste (sic !). Le voir en péril suscite en nous des réactions très fortes ». La métaphore cinématographique est déshumanisante, et la stigmatisation de la folie, voire de l’uniforme (« c’est la faute à la guerre »), manière de déresponsabiliser l’homme, a quelque chose d’ignoble. On a le sentiment désagréable que le cinéma américain dans sa volonté tardive de s’approprier l’histoire de la Shoah, et de la comprendre (à l’instar de Todd), ne cesse d’en banaliser l’horreur.