Après le film des frères Naudet, impressionnante relation in vivo des attentats du 11 septembre 2001, Un Coupable idéal est l’autre documentaire français qui a suscité l’intérêt de l’Amérique. En ces temps de poussée francophobes, ce n’est déjà pas si mal. Le film de Jean-Xavier de Lestrade a obtenu l’oscar 2002 du meilleur documentaire que lui a remis Samuel Jackson au cours de la cérémonie. C’est à cette récompense que le film doit sa sortie en salles après avoir déjà été diffusé à la télévision et fait l’objet d’une édition en DVD.

La question pourrait alors être : qu’est-ce qu’il faut à un documentaire français pour plaire aux Américains ? Pour les frères Naudet, la réponse paraît évidente : l’enregistrement en direct du traumatisme à partir du point de vue des pompiers héros appartient à la même catégorie d’images que le Super 8 de Zapruder sur l’assassinat de Kennedy ; images pour l’Histoire qui fixent la mémoire du drame dans un mélange d’intime et de spectaculaire, sur lesquels on revient chaque fois qu’on veut se faire du mal et du bien en même temps. L’expiation est le ressort d’une bonne part du cinéma américain. Voir est comme est une préparation à la prière et une promesse de se retrouver ensemble après le drame. Enregistrant le Mal en train de survenir, les Naudet accomplissaient en direct et « pour de vrai » ce que le cinéma hollywoodien réalise le plus souvent après coup et « pour de faux ». En dehors de sa dimension « document exceptionnel », le film a intéressé les télévisions américaines parce qu’il collait parfaitement aux canons du cinéma hollywoodien où le réel est toujours pris dans le filet d’un scénario : chez Zapruder, la robe tachée de Jacky ; chez les Naudet, les retrouvailles empêchées de deux frères.

Un Coupable idéal a sans doute plu aux Oscars pour des raisons assez similaires : relatant les étapes d’un procès en respectant scrupuleusement la chronologie de l’affaire -un adolescent noir de 15 ans jugé pour le meurtre d’une femme blanche, assassinée à bout portant- le film de Lestrade rejoint toute une tradition hollywoodienne du film-procès et dénonce les travers du système judiciaire américain en reprenant la logique scénaristique à deux temps déjà mise en œuvre dans les fictions de tribunal : le retour sur les lieux du crime et le procès comme un combat. Ce point de vue du réalisateur -faire fictionner le réel à tout prix- fait la force et les limites de son film. C’est peu de dire que la minutieuse démonstration de l’erreur judiciaire entrepris au cours du procès par le défenseur du jeune adolescent force l’admiration : les rouages de la mécanique policière qui brisent le suspect et lui extorquent les aveux sont disséqués comme rarement, et l’effroi saisit le spectateur devant tant d’indignité du système.

Le spectacle des mensonges policiers est particulièrement effrayant, notamment ceux d’un enquêteur noir appelé pour accoucher des confessions du jeune suspect, qui nie avec un aplomb extraordinaire devant la Cour avoir usé de violences pour arriver à ses fins, quand des photographies attestent des coups reçus pendant l’interrogatoire. Très tôt dans le film, le défenseur Patrick MacGuiness prend la stature d’un héros positif américain, défenseur des valeurs quand elles sont piétinées, usant d’une rhétorique impeccable qui emprunte autant à Franck Capra qu’aux livres de lois. De même, les policiers interrogés sur leur enquête apparaissent comme des flics minables et sans conscience tout droit sortis des romans d’Ellroy. Le réalisateur a d’ailleurs déclaré que les spectateurs américains ont parfois cru que les scènes de procès étaient reconstituées.

Paradoxalement, il semble que cette remarque parle davantage contre que pour le film. En effet, à force de brouiller les frontières du documentaire et de la fiction, de vouloir faire de chaque acteur du procès un personnage, avec tout l’attirail convenu de la psychologie -la force du verbe pour l’avocat, l’aplomb menteur des policiers, la retenue du jeune suspect, etc.- le réalisateur finit par banaliser son sujet c’est-à-dire l’apprivoiser selon une logique banale et manichéenne du Bien à défendre et du Mal à terrasser. C’est peut-être cela qui explique l’Oscar, ce point de vue qui se limite à l’enregistrement de la justice-spectacle -et qui en jouit parfois- alors qu’on attendrait son procès. Un Coupable idéal est peut-être aussi un film idéal.