Un couple en voiture roule dans le désert américain ; l’homme, photographe, doit y faire des repérages ; le couple s’aime et se déchire sur fond de jalousie : ainsi avance Twentynine palms, le dernier film de Bruno Dumont dans lequel les deux tourtereaux croient être des sortes d’Adam et Eve là où il ne seront finalement que des personnages d’après la chute. Canevas métaphysique donc, qui déjà irriguait les deux premiers films de l’auteur. A cet égard Twentynine palms est plus et moins réussi que ses prédécesseurs. Plus : le cinéaste s’est enfin détaché de ce mysticisme des trognes, de cette fascination complaisante pour les figures de simples d’esprit qu’il surplombait de sa caméra et qui, au delà d’un indéniable talent, rendaient La Vie de Jésus et L’Humanité si déplaisants. Ici le cinéaste fait davantage corps avec ses personnages auxquels il s’identifie sans peine. Moins : en s’éloignant de son territoire de prédilection (le nord de la France) pour les Etats-Unis désertiques, l’étranger, il semble que son horizon esthétique se soit recroquevillé sur quelques schémas élimés du cinéma moderne qui n’a eu de cesse de filmer le désert comme zone terminale de la fiction. Qu’on songe seulement au sublime Gerry de Gus Van Sant (lequel devrait bientôt voir le jour en DVD) qui réinvente brillamment cette figure pour s’apercevoir de la relative pauvreté imaginative de Dumont qui s’inscrit dans cette tradition devenue aujourd’hui un académisme : longueur des plans, fiction fondée sur le vide et de micro-événements intimes… attention, incommunicabilité entre les êtres ! (vérité du cinéma moderne transformée au fil des ans en une véritable tarte à la crème). C’est dire qu’il n’y a rien de neuf sous le soleil (du Texas).

Mais le pire est à venir, dans la métaphysique de bazar de Dumont qui refait peu à peu surface pour aboutir à une morale tout à la fois stupide et douteuse. L’homme et la femme ne sont pas faits de même (sans rire ?), il y a un impossible partage des expériences (pénétrer, être pénétrée ; conduire une voiture, ne pas savoir conduire) qui amène, lorsque cette logique des rôles savamment distribués vole en éclat sous l’impulsion d’un événement anecdotique (elle veut conduire) puis brutal (un viol), à la destruction physique du couple, à l’assassinat de l’un par l’autre.

Devant une logique littéralement contre-nature (c’est à dire, dans l’esprit de Dumont, un viol mais aussi un rapport homosexuel -deux choses sur lesquelles le film entretient confusément un rapport de continuité- et, sur un plan vaguement métaphorique, une femme au volant), dans une situation d’après l’Eden, l’homme ne peut plonger que dans la souillure. On voit bien ce que cette logique peut avoir de réactionnaire : nostalgie d’un monde parfait (et imaginaire) ou tout est assigné à une place fixe, s’ordonne selon des règles bien définies et immuables, loin de tout réel partage, de toute transmission. De ce point de vue, le film n’est pas du tout moderne.