Le manque d’ampleur et de charme de Trois soeurs, pourtant Léopard d’or à Locarno en 2011, est moins le fait d’un vrai problème de mise en scène que d’une mauvaise maîtrise des contraintes dramaturgiques du huis clos. Cette présentation frontale du quotidien sans rêve des dites sœurs, entre chamailleries, moments de tendresse et autres parties de cache-cache de circonstance, n’est dénuée ni d’élégance ni d’efficacité. Toujours maîtrisés, traversés par les corps plus ou moins vêtus de cette fratrie en décomposition, les plans fixes comme les panoramiques de Mumenthaler sont indéniablement habités. Reste que cet élégant statu quo aurait gagné à être réveillé par un peu de cette vie hors des frontières de la maison, que la cinéaste refuse obstinément d’évoquer.

Quelques signes laissent certes deviner ici et là un lien des filles avec l’extérieur. Même si nous n’en voyons rien, chacune a bel et bien une vie hors de la maison (études, boulot, copain…). Et c’est ici, précisément, que le film révèle son impuissance, dans son incapacité à tirer profit de cet ailleurs invisible et à rendre présente son absence. Si bien que lorsque l’une des soeurs s’éclipse du jour au lendemain, quitte la maison et donc disparaît de l’image, scénario et dialogues devront faire des pieds et des mains pour laborieusement nous convaincre qu’elle manque, et donc qu’elle existe encore, alors qu’on peine à identifier la moindre rupture.

Le titre original de Trois soeurs est « Abrir puertas y ventanas » : ouvrir portes et fenêtres. Titre qui laisse entendre que l’enjeu du film résiderait dans la possibilité d’aller voir ailleurs, ou au moins de laisser entrer un peu de la rumeur du monde. Le départ de Violetta, la cadette (qui est partie « loin », comme elle le précise dans son message d’adieu) pourrait signifier cette ouverture. Tout comme, au début du film, l’arrivée sur le seuil de Pedro, le petit ami de Marina, dont elle se cache pour mieux officialiser leur rupture par téléphone une séquence plus loin. Il y a aussi Francisco, voisin serviable et invitation, peut-être, à érotiser un peu la fiction, à révéler sous la présence un peu obtuse des filles un potentiel sexuel longtemps dissimulé.

Une grande extériorité devrait particulièrement peser sur le film : l’absence. Les absents. C’est-à-dire les parents, que l’on imagine morts mais dont nous ne saurons rien, et surtout Alicia, la grand-mère qui les a élevées, dont la mort récente serait la cause de ce statu quo. Mais cette omniprésence de l’absence, le film ne parvient jamais à l’exploiter, les symptômes du trouble se résumant à quelques disputes autour de l’utilisation ou la dépossession de tel ou tel objet de la défunte. Trop de platitude, trop de bla bla privent ainsi le film du potentiel fantastique et/ou mélodramatique dont son sujet était pourtant naturellement porteur. C’est assurément de ne savoir que faire de ce que l’on ne voit pas que Trois soeurs tire sa cruelle et finalement exaspérante absence de dimension. Léopard d’or ou non, au bout d’une heure seulement, on préfèrerait clairement rentrer chez soi.