En attendant une véritable édition des films des Marx, il faut se contenter de ce trio de films –Duck soup, Horse feathers et Animal crackers– présentés dans le plus simple appareil, c’est-à-dire sans le moindre bonus à se mettre sous la dent, sinon les traditionnelles bandes-annonces d’époque (sauf pour Animal crackers, qui n’a droit à rien). Puisqu’il n’y a rien d’autre à voir, regardons-les, elles ont justement quelque chose à dire. Celle de Duck soup (un des chefs-d’oeuvre des Marx, avec Une Nuit à l’opéra et The Big store) : absence de la scène mythique (celle des miroirs, qui ne l’était pas à l’époque) mais montage frénétique, mini sélection de gags vifs et spectaculaires. Celle de Horse feathers : omniprésence de Groucho, avalanche de répliques intraduisibles dans une ambiance un peu terne, des plans sans relief, seulement à l’écoute du moustachu. Le génie des Marx, c’est de se tenir au milieu de ces deux tendances -le foutoir généralisé, les images chocs (Groucho la tête dans un vase sur lequel est dessiné un visage) / l’à-plat, l’auditorium à répliques- dont les bandes-annonces, curieusement, rendent parfaitement compte malgré leur ton plus que désuet.

Au milieu donc, entre le fatras et la parole, règnent les Marx, puissance de désordre, blitzkrieg sur le bon sens, sur le sens tout court. Les bandes annonces laisse entrevoir ce royaume, mais en même temps elles masquent la dimension plus sombre du trio (devenu quartet dans Duck soup, du fait de la présence de Zeppo, élément étranger incapable de faire corps avec la tribu dont il partage le sang, ce qui le rend presque suspect, émouvant aussi). Il y a quelque chose de dangereux chez les Marx, pas seulement pour ceux qui les entourent (l’éternelle Margaret Dumont, de la partie dans tous les films, garde toujours le même air effaré, ce qui n’est pas un exploit mineur). On sait qu’ils sont fous, incohérents, puérils, agressifs. Mais il y a plus, une vraie folie, terrifiante, qui confine au malaise. Elle se loge dans ces scènes violentes où Harpo et Chico rendent fou celui qui se trouve sur leur chemin (dans Duck soup : face à l’ambassadeur ou le vendeur de cacahuètes, humiliés par leurs pitreries exténuantes) ; sur les visages ultra expressifs de Harpo et Groucho, auxquels Chico oppose son air bonhomme ; dans les regards-caméra de Groucho lorsqu’il détraque le langage. Dans Duck soup, c’est le cours même du film qui est menacé par ce comique malade et tordu : souvent la mise en scène de McCarey (meilleure évidemment que celles de McLeod et surtout de Victor Heerman) semble contaminée, l’image implose sous la puissance de l’absurdité. C’est alors qu’advient le gag sidérant du faux miroir, point d’éclatement et de rupture du cinéma des Marx que cette vieille bande-annonce a pris soin de ne pas dévoiler, de crainte d’ouvrir une boîte de Pandore dont personne ne sortira indemne.