Rares sont les comédies françaises à survivre aux impératifs télévisuels, aux sophistications pompeuses ou à cette infâme franchouillardise éternellement réquisitionnée. Vu le contexte, le mérite de Travaux n’est que plus grand. Frêle actrice-réalisatrice (Outremer, Post coitum animal triste), Brigitte Roüan a trouvé là un dosage miracle pour filmer un joyeux bordel qui déborde de tout et son contraire : humanisme militant, acteurs du terroir périmés ou encore frais, dispositifs entremêlés (vaudeville, burlesque, répétitions, cartoon). Et surtout un généreux brassage des générations -références et personnes confondues-, Tournez manège version cinoche où les Marx Brothers s’accouplent aux Charlots au rez-de-chaussée, tandis que Michel Blanc (période eighties) et Blake Edwards forniquent joyeusement au premier sous l’oeil malin de Jacques Demy.

Le désordre ne fait pas peur à Brigitte Roüan qui resserre le film par un tempo soutenu. Peu importe le chambranle permanent, voire quelques séquences étirées ou loupées, la cinéaste a une telle confiance en l’univers du film qu’elle ne lâche jamais son spectateur. La piété quasi-chrétienne et la jouissance anarchique, c’est ça l’équation du film, détruire un appartement bourgeois pour le reconstruire en Arche de Noé altermondialiste dans la bonne humeur. L’ouverture, qui montre une Carole Bouquet super avocate voler langoureusement dans les airs pour défendre son client (Jean-Pierre Castaldi), est autant un départ canon qu’un décodeur esthétique. Sans papiers, star bourgeoise, acteurs-vestiges (Aldo Maccione quand même) ou boulevardiers, ludisme cinéphile et ringardise assumée, le plaisir vient autant de la confrontation sociale que d’une ballade truculente d’un individu à l’autre.

C’est dans sa respiration que le film atteint une précieuse virtuosité. Roüan aurait pu verser dans la complaisance bordélique pour justifier n’importe quoi. Pourtant, elle s’en sort. Par la cause militante (les sans papiers), filigrane qui traverse et nourrit la comédie. La cinéaste fixe même deux cadres : l’un enchanté, pour rêver en toute quiétude et créer la fantaisie (l’appartement), l’autre plus âpre, pour témoigner et compatir (les manifs, les squats africains de Paris). Elle trouve aussi l’antidote à l’humanisme bêlant, en associant au brassage ethnique les contrastes sociaux de la société du spectacle. Il y a là autant de jubilation à salir les plans comme un salle gosse que de revendiquer haut et fort le génie des poubelles du showbizz. La palme revenant à Jean-Pierre Castaldi, fabuleux en amant porcin de Carole Bouquet : sa corpulence épaisse et son pif aviné n’ont jamais été autant servi par la mise en scène.