D’Antoine Fuqua, on connaissait Un Tueur pour cible, petit polar qui, sans atteindre des sommets, laissait entrevoir une belle maîtrise de l’espace et une grande foi dans le genre. Training day confirme les qualités du cinéaste tout en mettant le doigt sur ce qui lui manque encore : moins une certaine virtuosité que les carcans moraux et idéologiques qui lui permettraient d’insérer ses films dans un véritable projet. Ce qui fait absence dans Traning day, c’est la sécheresse d’un point de vue, une concision du regard qui conférerait au cinéaste un statut un peu plus ambitieux que celui de bon faiseur.

L’histoire est très carrée : un jeune flic (Ethan Hawke), pour sa première journée de travail, rencontre Alonzo (Denzel Washington), vieux routard aux manières expéditives et ripou accompli. Le sujet se laisse vite déborder par une atmosphère très malsaine qui donne au film ses meilleures scènes. La plongée dans les bas-fonds de Los Angeles est exemplaire : on s’y noie, on s’y perd, les plans-voitures s’étirant à la manière de longues transes suspensives et sonores. A cet instant, Training day laisse augurer du meilleur et évoque aussi bien les meilleurs films de Fleischer (Les Flics ne dorment pas la nuit) que ceux de Friedkin. Du réalisateur de Police Fédérale L.A., on retrouve le ton désenchanté, le goût pour les cheminements crépusculaires et joués d’avance, l’effilochement dans un univers de pur flottement atmosphérique. Surtout, une grande part est donnée au jeu des influences, à la mise à l’épreuve de deux corps antithétiques : celui de Jake/ Hawke, naïf, plein d’un héroïsme maniéré et fébrile, contre celui d’Alonzo, solide et flamboyant, rebelle affranchi de toute valeur éthique. L’on ne sait trop, jusqu’aux deux tiers du métrage, où Fuqua va véritablement en venir : l’un et l’autre des personnages sont vus sur un même pied d’égalité, sans compassion pour l’un ni cynisme envers l’autre. Un vrai point de vue de mise en scène (celui de Friedkin dans Police Fédérale justement) trouverait sa grandeur sans trancher, en se refusant à toute prise de position qui fragiliserait cet équilibre étrange et malsain, capable de générer le seul intérêt d’un tel film : son trouble et son ambiguïté.

C’est là que Fuqua échoue complètement : rapidement, le personnage d’Alonzo se transforme en monstre diabolique et manipulateur. Au contraire, Jake devient l’archétype du héros par le bas : son côté père des familles irrite, certaines de ses répliques sont tout bonnement répugnantes dans leur façon d’idéaliser une vision Bruckheimerienne du métier (l’enseigne de flic symbole de pureté). La fin règle son compte au film : Alonzo exécuté froidement, comme dans un épisode des Cordier, Jake qui rentre retrouver sa compagne après une dure journée de labeur. Fuqua est un habile technicien, sa vision très noire du genre est parfois fascinante. Mais son côté réactionnaire et presque raciste l’empêche d’être plus que cela : faux démystificateur, faux rebelle aux airs de Schumacher du pauvre.