Du haut de ses 66 ans et après plus d’une quarantaine de longs métrages, Jean-Pierre Mocky a encore des choses à dire… En adaptant une œuvre de série noire, le réalisateur vomit ici son cynisme sans mesure à la face du cinéma, et produit ce Tout est calme totalement corrosif. A première vue, le film est assez déstabilisant, il donne même durant les premières minutes l’impression d’être une catastrophe sans nom… Mais, petit à petit, le discours du réalisateur s’installe dans cette fiction sans queue ni tête, et la « magie du cinéma » commence alors à se poignarder d’elle-même. Avec cette intrigue policière invraisemblable, Mocky s’amuse ouvertement à désacraliser les artifices de mise en scène habituels, en n’hésitant pas à aller jusqu’à dynamiter sa propre réalisation.

Doit-on voir ici une démarche suicidaire ? Absolument pas. Plutôt que de se donner d’incohérents et masochistes coups de fouets, Tout est calme a plutôt l’air de s’attaquer à la crétinerie de tous ces films aujourd’hui issus du même moule. Jean-Pierre Mocky nous offre le sourire aux lèvres des scènes mal jouées, après les avoir fait redoubler déplorablement en cabine de postproduction -afin de les rendre encore plus misérables (alors que cette démarche sert, en général, à relever le niveau des mauvaises prises). Il dirige à merveille ses acteurs -admirablement bien choisis-, obtient d’eux un jeu naturel, situé donc à l’extrême opposé de ce que réclament habituellement leurs rôles ultra-stéréotypés… S’attardant sur les détails, il nous livre aussi toute une série d’effets spéciaux déplorables, à côté desquels l’usine Tricatel pourrait passer pour la dernière production de Steven Spielberg… En gros, le cinéaste démontre qu’un banal polar, une fois dépossédé de ses artifices, se trouve réduit à n’être plus qu’une pièce de néant d’une heure trente. Certains trouveront peut-être la démarche intéressante sans pour autant être attiré par le résultat. Seulement Mocky ne s’arrête pas au simple exercice de style. En plus d’atteindre pleinement ses objectifs de cinéaste emmerdeur, il ajoute à son histoire extravagante une très puissante dose d’humour noir. On retiendra notamment la plus qu’abusive mise en valeur du personnage principal (incarné par le grand Mocky himself), d’un ringardisme à toute épreuve, ou encore la scène d’action finale -qui frôle le surréalisme-, que le réalisateur fait se dérouler dans un bal dansant pour paraplégiques…

Après avoir vu ce Tout est calme à la mise en scène approximative, certains taxeront Jean-Pierre Mocky de fainéant. Peut-être même le considéreront-ils comme le plus flemmard des réalisateurs. En s’attardant sur cette surprenante démarche, on pense effectivement avoir ici affaire à un paresseux, mais un paresseux d’une grande intelligence.