Gras, laid, bête et méchant : des qualificatifs qui pourraient s’appliquer aussi bien à ce premier film qu’à son héros éponyme. Mais l’ex-flic Jose-Luis Torrente (Santiago Segura, homme-orchestre de cette pantalonnade) est encore bien pire que cela : sale, vil, raciste, macho… La liste est interminable, et fait de lui le personnage du cinéma espagnol le plus répugnant -d’un point de vue à la fois physique et moral- de tous les temps. Flanqué d’un père (l’excellent Tony Leblanc, récompensé en Espagne pour sa prestation) qu’il oblige à mendier pour son compte sur une chaise roulante, Torrente patrouille la nuit dans les rues de Madrid, avec l’espoir de tomber sur un crime d’une grande ampleur qui lui permettrait de retrouver son honneur et son travail. Il découvre ainsi par hasard un trafic de drogue au sein d’un restaurant chinois, et décide de s’associer avec une bande d’adolescents dégénérés pour confondre les malfaiteurs.

L’intrigue policière, « digne du pire roman de gare » (dixit Santiago Segura) et à l’origine de nombreux temps morts, est une façon comme une autre d’introduire toute une faune de marginaux aux tronches plus marquées les unes que les autres (un nain qui vend des billets de loto dans la rue, une trisomique travaillant dans une poissonnerie, ou encore un jeune madrilène décérébré aux dents pourries). Ce défilé surréaliste d’éclopés et d’abrutis congénitaux est d’une grande efficacité comique ; mais c’est avec une légère honte que l’on repense aux fou rires provoqués par certains épisodes de Torrente. Exemple type : au début du film, notre héros roule à travers les quartiers chauds de Madrid, s’amusant de la violence et de la délinquance qui y règne (rixes, prostitution, jeune fille battue par son petit ami). Soudain, il freine brutalement en s’écriant « un bougnoul ! » : un innocent arabe est en train de rentrer chez lui, situation inadmissible à laquelle Torrente va se charger de remédier en brisant un doigt à sa victime. L’action, par son côté burlesque, force le rire, mais un rire épais que l’on aurait pu émettre à la vision d’un mauvais sketch de Patrick Sébastien. Car, à l’instar de notre vedette télé nationale, Segura -qui en est une aussi dans son pays- amuse en flattant nos instincts les plus bas, nos tendances les plus méprisables. C’est à une caricature beaufisante que le spectateur de Torrente est convié, mais d’un autre côté tellement excessive dans sa méchanceté qu’elle en devient efficace. Le problème est que Torrente n’est pas un personnage très antipathique (peut-être à cause de son statut de loser), et que la xénophobie dont il fait, entre autres, preuve, paraît presque aussi naturelle pour le film que pour lui. Torrente ne valant que pour ses railleries grotesques (cinématographiquement, il n’y a rien), l’on en vient à se poser des questions sur l’éthique d’un tel spectacle…