Du cinéma italien d’aujourd’hui, on a vu récemment la part flamboyante avec Nos Meilleures années, phénomène de foire pathétique de bienséance putassière et de mollesse, et autres petits mélodrames d’Etat sans intérêt dont Pupi Avati est devenu la mascotte officielle. Certains films, heureusement, tranchent largement dans ce panorama sinistré. Tornando a casa est de ceux-là, comme avant lui quelques autres : une part plus obscure, plus souterraine d’un cinéma qui n’a jamais véritablement coupé avec ses origines glorieuses. Si Nos meilleures années se faisait passer pour une grande fresque néo-réaliste luxueuse pour n’être qu’un simulacre de sécheresse télévisuelle, Tornando a casa est en le symétrique inverse. Dénuement réel de la forme et de la structure, recours à des comédiens amateurs parlant un patois napolitain parfois incompréhensible, refus catégorique de l’artifice : autant de principes de réalité -jamais tronqués ici- qui permettent de revenir en des contrées plus sereines. Le cinéma y gagne sur tous les plans.

Le film suit une petite équipée de pêcheurs napolitains qui traverse clandestinement les frontières de navigation entre la Sicile et l’Afrique du Nord, où le poisson se fait moins rare. Au péril de leur vie, Salvatore, leur capitaine, veut pousser l’embarcation dans les eaux territoriales africaines. Mais la police tunisienne veille. La beauté de Tornando a casa tient dans sa façon d’enregistrer une réalité dans toute son amplitude (le début en mer, dans la nuit, où les gestes, les mouvements des pêcheurs se font obscure litanie trouée d’angoisse) sans que jamais le film ne se déleste d’une dimension purement fictionnelle et mélodramatique. Chaque personnage existe en quelques plans, tient une ligne dont il ne se départira jamais dans le récit. La fiction, ici, travaille comme une lame de fond sous les images brutes du réel. Entre thriller (pour Salvatore, face à la camorra), mélodrame existentiel (pour Franco, le vrai héros du film) ou chronique sociale (pour Samir, l’immigré), Marra ne choisit pas, jonglant avec différents réseaux de narration sans rien concéder à la simplicité de son dispositif d’enregistrement.

Si ces multiples réseaux d’intrigue souterrains s’intègrent parfaitement à la structure d’ensemble, c’est qu’ils ne sont que le reflux d’un mouvement plus large : une histoire, avant tout, de trajectoires (ensemble, seuls, en rébellion contre le groupe) fédérées par une instabilité permanente, seule à même de décrire illusions et désillusions de chacun. Lorsqu’ils décident de revenir sur leurs terres, à Naples, les pêcheurs ne tiennent pas plus de quelques jours. Le temps de décrire une ville, sa respiration intime, en quelques scènes -mieux qu’en mille documentaires réunis. Immédiatement, tous repartent vers le Sud. L’un à contre-courant (Franco), vers l’Afrique, est ramené anonyme en Italie au milieu d’immigrants clandestins pour être enfin renvoyé libre vers la Tunisie. Entre allers-retours et suspension perpétuelle, anonymat et pure mythologie, le récit simple et bouleversant de ces suicidés de la mer renoue avec les plus beaux jours du néoréalisme.