Carol (Todd Haynes)

Carol et Therese vont faire l’amour pour la première fois, dans une chambre d’hôtel où leur passion est venue se réfugier. Pour le spectateur, cette perspective a quelque chose d’inquiétant, tant elle vient perturber le cours d’un film jusqu’alors si chaste, si intériorisé, qu’on l’avait cru décidé à réprimer jusqu’au bout toutes ses tentations. Assise devant un miroir, la jeune Therese attend Carol, habile et intimidante créature qui, dans la salle de bain, achève son brin de toilette. Si Thérèse attend devant un miroir, c’est qu’elle sait que Carol est une Gorgone, capable de pétrifier quiconque se risque à croiser son regard. Derrière le paravent du film à thèse (une romance homosexuelle interdite dans l’Amérique des fifties), c’était peut-être, depuis le début, la véritable histoire de Carol : celle d’une petite fille sage qui parviendra à affronter, sans rougir ni trembler, le regard tétanisant d’une grande dame. Alors comme Persée, qui s’était défait de Méduse grâce aux miroitements de son bouclier, Therese ruse, patientant devant son miroir d’où elle observe, attentive, l’objet de sa fascination. Deux femmes se retrouvent alors réunies dans un même reflet : le plan est magnifique, parce que pour la première fois, Therese et Carol cessent leur jeu de face-à-face pour enfin se contempler l’une et l’autre, embrassant d’un seul regard leur désir mutuel. C’est Carol qui ouvre le bal en détachant son peignoir, mais c’est Thérèse qui exige : “Take me to bed” — avant de s’y diriger seule, sûre de ce qu’elle fait. Carol voudra éteindre la lumière et Therese l’en empêchera : “No, don’t. I want to see you.”

Louis Blanchot

Julieta (Pedro Almodóvar)

Julieta vient de prendre un bain. Elle est fatiguée, il a fallu l’aider à sortir de la baignoire, soulever en même temps qu’elle le fardeau de sa vie déjà usée par le malheur. Elles sont deux à la soutenir, sa fille et puis l’amie de sa fille, mettant l’une et l’autre, dans chaque geste, la lenteur délicate qu’on réserve aux animaux blessés. Elles l’assoient, il faut lui sécher les cheveux: le visage de Julieta disparaît sous la serviette. Et puis, doucement, les filles relèvent la serviette, et sous le linge le visage – stupeur – n’est pas celui que le spectateur attendait. Ou plutôt si, il l’attendait depuis le début. C’est bien Julieta, mais ce n’est pas l’actrice qu’il a vu sortir du bain: c’est celle, plus vieille, par qui depuis l’entame du film nous parvenait ce récit, Julieta qui raconte sa jeunesse – à sa fille, justement. Deux actrices pour un seul personnage, à deux moments de sa vie: vieille convention, qui fait passer le spectateur d’un corps à l’autre, comme on prend une correspondance dans un voyage en train. D’un voyage l’autre, Almodóvar invente le plus beau raccord qui soit: une serviette de toilette qui est en vérité un rideau de théâtre, imitant celui, rouge, où le générique déposait aux premiers instants le nom de Julieta. Le rideau se lève, et c’est un nouvel acte qui commence, sur un tour de magie: un visage a pris les contours d’un autre, et Méliès a ressuscité dans un mélo madrilène.

Jérôme Momcilovic

Elle (Paul Verhoeven)

À la télé, le Pape François dit la messe. Minuit a sonné, entrainant la dispersion des convives réunis pour le réveillon : Scrabble à la table du diner, cigarette sur la terrasse, tisanes et digestifs devant France 2. Michèle profite de l’éparpillement général pour approcher Patrick, un peu en retrait sur le petit fauteuil jaune citron. Sur l’écran, les gestes experts du pontife invitent Michèle à entamer une discussion ecclésiastique – tiens, Patrick ne connait pas le rite d’excommunication. Michèle embraye vite sur son père tristement célèbre, qui leur adressait sans arrêt le signe de croix, à elle et aux enfants du quartier. Patrick se tortille, devinant les terres scabreuses où risque de les mener la conversation. « Les parents ne se plaignaient pas ? », demande-t-il prudemment. Michèle rit presque : bien sûr qu’ils se sont plaints, bien sûr que son père s’est vexé, bien sûr qu’il a sonné à tous les perrons du quartier armé d’un fusil à pompe. Patrick regarde le tapis en soufflant qu’il a déjà entendu cette histoire. Michèle le coupe, pose l’index sur sa cuisse : ah oui, il a déjà entendu parler des vingt-sept victimes humaines, mais pas des animaux ! Six chiens, deux-trois chats. Curieusement, un hamster fut épargné. « Ça ne s’invente pas », ajoute Michèle en posant brièvement la paume sur l’avant-bras de Patrick, qui tente de changer de sujet. Mais Michèle a envie de parler du sang, de l’incendie qui a suivi, de sa mère rentrée du boulot sonnée, et de la photo qui fut prise d’elle, petite fille psychopathe, nue et couverte de cendres. « J’ai un regard vide sur la photo qui est terrifiant. » Elle voit bien Patrick creuser au plus profond de lui-même pour ramener un commentaire intelligible, et peut-être clore ce conciliabule sordide, quoique d’une vague suavité. Elle vient à sa rescousse, posant de nouveau la main sur lui : « PAS MAL, HEIN ? Vous voulez un cognac ? »

Yal Sadat

Homeland: Irak année zéro (Abbas Fahdel)

Le deuxième volet de Homeland: Irak année zéro s’ouvre sur un pays méconnaissable. Les soldats américains sont partout, et la dictature de Saddam Hussein s’est évanouie comme un songe. Abbas Fahdel est en voiture avec son frère, sa nièce et son neveu, Haidar, l’enfant-guide qui, tout au long du film, prend Fahdel par la main pour lui raconter son pays. Dans la voiture, Haidar interpelle le réalisateur : « Oncle, regarde ! C’est l’Irak nouveau ! On dit que les Américains ont des lunettes pour voir les gens nus ! ». La caméra suit le camion puis se recentre sur le visage de l’enfant qui raconte: « L’autre jour un Américain a voulu me photographier. J’ai refusé. Il m’a dit “Why ?”, j’ai dit “No !”, je n’aime pas qu’ils me photographient ». L’histoire s’arrête là, rejoignant les mille et un récits que Fahdel récolte tout au long de son film. Elle est brève, presque anecdotique, et pourtant elle est porteuse d’une intuition immense, d’un secret déchirant qui est celui du film. Haidar ne s’explique pas davantage, Fahdel ne lui en demande pas plus sur les raisons de ce refus, parce qu’il n’en faut pas plus que ces mots d’enfant : Haidar se laisse filmer par son oncle mais refuse d’être photographié par les Américains. Il ne confie son image qu’à ceux qui en prendront soin.

Murielle Joudet

Ma loute (Bruno Dumont)

Des eaux clapoteuses où scintillent les reflets d’un soleil déclinant. Une silhouette nue, avançant de dos dans le bras de mer qui s’ouvre à l’horizon. La caméra se relève pour accompagner le mouvement jusqu’à son point d’arrêt, et la musique élégiaque de Guillaume Lekeu entame ses ultimes mesures. Le corps de Billie se découvre à contre-jour, les bras glissés dans l’eau, la peau nacrée dans les derniers feux de la journée, libre sous notre regard, du creux des fesses jusqu’à la masse de chevelure sombre. D’un geste, Billie retire cette chevelure factice qui recouvrait son crâne rasé.  Est-ce une fille ? Un garçon ? A qui s’adresse notre désir ? Ce plan ne le dit pas, ne réservant au spectateur que la sensualité d’un dos. D’un plan, de ce seul plan-ci, Dumont maintient la mystique de son cinéma en en renversant la forme. La grâce, retirée du visage de ses personnages (leurs yeux étaient des lacs, ils ne sont plus que des épingles, plantées dans une balle de paille), est allée ruisseler sur la peau nue d’un corps. Au chant du visage, elle a substitué l’énigme de la nuque et des reins, pour célébrer le mystère des désirs. Le comique furieux et carnavalesque que poursuit  Dumont depuis deux films livre enfin sa vérité : il s’agissait de desserrer le poing glacé de son esthétique puritaine, de ses graphies sexuelles et gores, pour en libérer tout le lyrisme contenu. Mais cela, il ne pouvait le montrer qu’en un seul plan, sous peine d’en diluer le mystère, autour duquel son cinéma ne cesse de tourner. 

Guillaume Orignac

No home movie (Chantal Akerman)

– Et tous les jours, on se battait dans la cour de récréation. On montait sur les épaules des garçons, et on se rentrait dedans. Tu te souviens comment je revenais ?
– Oh, dans un état ! Tu revenais avec tes lacets qui pendaient, tes chaussettes en tirebouchon. Sale ! Pleine d’encre sur les doigts… Ecoute… Il fallait te prendre, comme ça, te laver, te changer. Oh…
– Même maintenant, encore, j’ai toujours les lacets défaits…
– Mais tu étais mignonne, tellement mignonne, belle ! Oh. Comme ça, une jolie petite fille. J’étais fière…
– Moi aussi j’étais fière de toi. Je te trouvais la plus belle mère. La plus belle femme. J’étais très fière quand tu venais me chercher, à l’école, tu sais, des petits enfants. Tu venais me chercher, je te donnais la main, et je me promenais fièrement avec toi. Et à tout le monde je montrais: c’est ma mère ! Et à Knokke aussi. Tu te souviens à Knokke ?
– Et moi tout le monde me disait: mais quels yeux ! Mais quelle beauté, quels yeux ! Et alors tu étais dans ta poussette encore, tout le monde se penchait sur toi, pour voir tes yeux !
– Ils ont pas tellement changé.
– Non. Ils n’ont pas changé. Moi, mes yeux ont changé. Ils sont devenus plus clairs.
– Plus clairs…
– C’est bizarre !
– Oui… C’est la pigmentation. C’est la même chose que les cheveux qui deviennent blancs.
– 
C’est vrai, mes yeux aussi changent.
– Tu perds ta pigmentation.
– Alors un jour je vois ça, tu sais où ? Là, au vestiaire, il y a ce miroir en néon comme ça, tout autour, là… Et je me lave les mains, et puis je me regarde comme ça dans la glace. Et je vois mes yeux. Je dis, mais: où sont mes yeux bruns ? Ils sont où ?
– Et où sont tes cheveux noirs, maman ? Où sont tes beaux cheveux noirs ?
– Et mes cheveux noirs…
– Ouais, ben c’est comme ça, les miens aussi, j’ai plus de cheveux noirs, presque. Encore quelques-uns.

Jérome Momcilovic

Midnight Special (Jeff Nichols)

Sur le parking d’une station service où s’interrompt provisoirement leur cavale, l’enfant dit à son père: « I’m sorry… » Le père l’avait sommé de ne pas sortir du van, et le petit semble meurtri d’avoir désobéi. C’est en tout cas ce que pense le père, d’abord furieux, puis consolant : ce n’est pas si grave. Et puis, il n’aurait pas dû le laisser sans surveillance. « No. I’m sorry. » insiste l’enfant, l’air encore plus grave, tandis que dans le ciel se dessine doucement une incommensurable catastrophe. Des sillons dorés zèbrent l’encre de la nuit, comme autant d’étoiles filantes. D’un geste, le père agrippe son fils et court à travers une pluie d’apocalypse. Cette apocalypse, le père le sait, ne vient pas d’ailleurs malgré les apparences: elle vient de l’enfant qu’il tient dans ses bras. Que nous dit cette scène que n’avait pas déjà dit Take Shelter, sorti cinq ans plus tôt et qui, lui aussi, accompagnait l’inquiétude d’un patriarche, tourmenté jusqu’à la folie par l’idée de voir sa famille disparaitre dans la tempête ? De prime abord, pas grand-chose, sinon que l’enfant a changé de statut, qu’il n’est plus seulement la victime d’une paranoïa adulte, mais qu’il est aussi un monstre – soit, ici, une créature à la fois souffreteuse et surpuissante, dont le moindre toussotement peut faire vaciller un continent. Il faut donc, pour le père, veiller sur l’enfant avec, d’une part, l’angoisse d’être forcément imparfait pour cette tâche, et d’autre part le désespoir de savoir qu’il faudra céder sa place en cours de route, faute d’être à la hauteur d’une destinée qui le dépasse déjà. Cela fait beaucoup de tourments pour un père, et de bonnes raisons pour un fils de lui demander deux fois pardon.

Louis Blanchot

Manchester by the sea (Kenneth Lonergan)

Un carré lumineux file horizontalement dans le noir, avant d’arrêter sa course au milieu du cadre. Puis le carré est bu d’un coup d’interrupteur, qui découvre une pièce avec pour seule fenêtre ce que nous pensions être ce point de lumière mobile, mais qui n’était qu’un vasistas filmé le long d’un panoramique maladroit. Une pièce presque nue, comme un tombeau dans lequel pénètre le corps fatigué de Casey Affleck. Il vient de se battre, il a trop bu, il apprendra bientôt que son frère vient de mourir. C’est un plan qui ne semble pas dire grand chose, à peine faire la jonction entre une scène de bar et une autre qui lancera le film sur les rails du mélo. Mais c’est aussi un plan arraché au tournage, où l’opérateur a probablement rattrapé précipitamment le cadre prévu, alors que le comédien rentrait dans la scène. Un plan techniquement raté qui aurait dû logiquement être jeté dans les poubelles du montage tant le film distille sa petite musique du malheur comme un alignement régulier de notes bien portées. Rien ne semble dépasser dans ce film taillé sur le principe du « less is more » : moins de cris, de mouvements et de cendres, moins de larmes et de confrontations, et toujours plus de retenue, tassée dans des plans comme autant de petits tiroirs de rangement. Sauf qu’il y a ce plan, jeté comme un cheveu sale sur la porcelaine, et qui vient en fêler le dessin glacé. Fêlure indispensable au genre mélodramatique, qui ne souffre aucune approximation mais doit cependant laisser passer un peu de souffle pour dépoussiérer ses éclats. Ici, donc, un panoramique tremblant qui secoue le cercueil dans lequel est allé s’enfoncer le personnage de Casey Affleck avec sa voix de bâillon coincé. C’est autant d’air pour le film. Un air qui, plus loin, ira souffler sur les yeux éternellement gonflés de Michelle Williams, et ses lèvres toujours gercées, craquelées par la vie, de ce craquellement qui offrira à Manchester by the sea sa plus belle scène, et à Casey Affleck son plus beau rôle. Le rôle des larmes enfin conquises et enfin échangées pour ce mélo qui, à ce moment-là, se met à trembler de tout son corps.

Guillaume Originac

Victoria (Justine Triet)

On frappe à la porte, Victoria ouvre : c’est intellobg75, son rendez-vous galant trouvé sur un site de rencontre. Elle ouvre grand les yeux, effarée par le fossé entre le séduisant pseudo et la dégaine du grand dadais. Elle l’emmène dans sa chambre, comme s’il s’agissait d’une consultation dans son cabinet d’avocat. Dans la petite pièce, l’homme prend place pareil à un ogre dans une grotte trop petite. Juste à côté, Sam, l’homme à tout faire de Victoria, garde ses deux petites filles le temps de son rendez-vous : à tout moment la parenthèse d’intimité peut être interrompue. Sauf que le rendez-vous n’a rien de romantique : sitôt arrivé, intellobg75 fait le compte de ses problèmes personnels à Victoria, laquelle fait mine par politesse de s’intéresser aux lamentations de ce type paumé qui noie sa solitude sur les sites de rencontre. Quand il s’épanche, il est seul dans le plan, comme en trop, si bien qu’on a l’impression qu’il parle tout seul. Victoria fait ce qu’elle peut pour être gentille, elle lui sert un verre, feint d’avoir des points communs. Mais très vite, ça ne communique plus du tout: l’homme veut simplement être dorloté, déverser ses malheurs dans une oreille attentive et maternelle. Poliment, Victoria renvoie l’homme, épuisée de devoir jouer la psy d’un soir, rêvant d’être, une fois au moins, la patiente.

Murielle Joudet

Tu ne tueras point (Mel Gibson)

« Ding ! » La balle blindée vient de frapper le casque de Desmond. Produisant un son strident, presque cartoonesque, l’impact du cupronickel sur le fer forgé est assez puissant pour faire chauffer immédiatement les tempes du soldat. À terre, le Sergent Howell voit sa recrue faire mine de vaciller, puis reprendre aussitôt sa progression sur le champ de bataille. Les balles continuent de fuser, mais Desmond semble certain de passer entre elles : l’objecteur de conscience le plus pieux de l’US Army se pense soutenu par la volonté divine. Abrité derrière une racine massive, encerclé de corps en charpies et de Japonais inspectant les vestiges fumants, le sergent se cramponne à la crosse de son fusil. Avec ses mollets presque arrachés, il sait que, sans l’aide de Desmond, il est condamné. Le jeune homme parvient à sa hauteur et réclame son arme, lui qui a toujours boudé la sienne. Howell trouve la force d’ironiser : n’est-ce pas un peu tard pour retourner sa veste ? Mais Desmond ne touchera pas la gâchette. Il renverse le canon vers le sol, enroule une moitié de couverture autour de l’arme, et couche son supérieur sur l’autre moitié ; et voilà Howell glissant sur le dos entre les morts et les immondices, remorqué sur une civière de fortune par un sauveteur enragé, lui-même tracté par une force intangible que le sergent obtus avait refusé de voir et qui vient de lui sauver la vie.

Yal Sadat

Everybody wants some !! (Richard Linklater)

C’est la rentrée universitaire pour Jack et sa bande, qui a passé l’été à sortir et à draguer. Jack n’a pas dormi, il était avec une fille, la fille lui plaît beaucoup, et les autres s’amusent de le voir devenu si mielleux. La tête encore pleine de sa nuit, il se faufile dans l’amphi et s’installe près d’un ami pour assister au premier cours de l’année: après l’interminable fête des vacances, la rentrée fait l’effet d’une lourde gueule de bois, dont la menace pesait en vérité, depuis le début, sur chaque scène, tout en la chargeant d’un intensité sans pareille. « La journée va être foutrement longue » se lamente Jack. « Oui, mais ce sera une bonne année » répond l’ami. L’enseignant entre dans l’amphi, se saisit d’une craie, et inscrit au tableau, en majuscules, une phrase énigmatique : « Les frontières sont là où vous les trouvez ». Dans l’amphi, tout le monde prend la phrase au tableau, avec la méticulosité un peu forcée des premiers jours d’école. Mais pas Jack et son ami, qui s’assoupissent sur leur tablette. Linklater resserre alors le plan sur Jack, qui ferme les yeux et esquisse un sourire ramenant à lui tout le film et son cortège de moments parfaits. Cette simple paupière close voue le rêve à devenir une sorte de boucle éternelle, contre laquelle aucune rentrée ne pourra rien: ce sera, sans aucun doute, une bonne année.

Murielle Joudet

Rogue One: A Star Wars story (Gareth Edwards)

Cela dure une poignée de secondes, devinées (fantasmées) depuis l’ouverture du film, lequel d’ailleurs n’est rien d’autre qu’un long sas entre le souvenir du grain 35mm de 1977 et cette nouvelle imagerie sous contrôle de Disney. Quand Vador, dans les derniers moments, force les verrous de ce sas à coups furieux de sabre laser, on sait l’apparition imminente. À quelques mètres, une autre porte s’ouvre, un rebelle entre et remet à « son altesse » les plans de l’Étoile noire. « Son altesse » se retourne vers l’objectif: ce n’est pas exactement la princesse Leia, pas exactement Carrie Fisher, pas exactement la fille de Debbie Reynolds, pas exactement un morceau de celluloïd excavé et peinturluré numériquement, pas exactement un spectre tiré des limbes de l’enfance, mais un peu de tout cela, sublimé par le net sentiment d’une bascule définitive dans l’ère Dorian Gray de Hollywood, désormais peuplé de chimères familières qui, rendues folles par leurs résurrections incessantes, assassinent  désormais les acteurs qui avaient vocation à les incarner, et leur volent leurs dernières paroles – ici, le mot « espoir ».

Yal Sadat

1 commentaire

  1. Très bon article. Dommage que peu d’autres ont dénoncé avec vous l’ère du Dorian Gray hollywoodien alors qu’un film récent l’a non seulement théorisée, non seulement dénoncée, mais surtout mise en scène : Le Congrès de Folman !

Comments are closed.