L’an dernier, une salutaire bouffée de mauvaise humeur nous avait inspiré une coupe drastique dans le rituel usé des petits classements culturels de fin d’année. Plutôt qu’un top 10 comme il en pousse désormais sur le moindre compte Facebook, un podium à une seule marche, et sur la marche, Gone Girl, champion toutes catégories. Comme nous l’expliquions alors, il s’agissait moins de dire que Fincher avait tourné là le meilleur film de l’année (même s’il nous importait de distinguer ce grand film devant lequel beaucoup avaient préféré faire la fine bouche), que d’abandonner le réflexe bêtement récapitulatif des tops 10 pour un geste plus prospectif: se demander quel film était susceptible de laisser l’empreinte la plus profonde sur la mémoire future de l’année écoulée.

Mad Max: Fury Road aurait pu prétendre à ce titre pour 2015, tant sa furie aussi archaïque que moderne fit l’effet d’un hapax. Mais refaire un top 1, c’était retrouver une routine à laquelle, précisément, nous avions voulu échapper; c’était surtout se priver de la joie toujours renouvelée d’avoir une occasion de faire les malins. Nous avons donc opté cette fois pour un top 4: 4 films, comme il y a 4 saisons. Non pas, bien sûr, au sens du calendrier des sorties, pour élire un film par trimestre: plutôt pour célébrer les vertus proprement climatiques des films. Parce que s’il n’y a plus de saisons ma bonne dame, il y a toujours des films d’hiver, des films d’été, de printemps et d’automne. Et de ces films marqués par la saison de leurs récits, c’est le climat, souvent, qui vient en tête dans le trafic des souvenirs: il y a des personnages d’été et des dialogues d’hiver, des affects de printemps, des humeurs d’automne – la saison, évidemment, est affaire de métaphore autant que de météo.

Et les quelques beaux films sortis cette année nous ont semblé se prêter de manière très opportune à un pareil découpage. 2015 a donné des films d’été particulièrement impressionnants (ardents et apocalyptiques: Mad Max et Sicario; languide et un peu éteint : Inherent Vice), de doux films de printemps (La Sapienza d’Eugene Green; Hill of freedom d’Hong Sang-soo dont les derniers films semblent conjugués chaque fois à une saison propre), des films d’automne poignants (Mia Madre; It follows; Trois souvenirs de ma jeunesse), des films d’hiver glaçants (Foxcatcher; The Visit; À la folie) ou réchauffés au feu noble de la morale (Le Pont des espions). Reste, évidemment, que ce découpage est un arbitraire et que comme tout arbitraire, il libère autant qu’il contraint. À quelle saison renvoyer le très beau Fatima de Philippe Faucon, dont le récit fait presque le tour du calendrier ? Nous avons retenu le printemps, où il se termine, timidement tendu vers la lumière – mais de toute façon, c’est le printemps piémontais de La Sapienza qui, à l’heure des comptes, remporte la timbale.

Printemps: La Sapienza (Eugene Green)

Sorti aux premiers jours du printemps, La Sapienza était bien un film de saison, au parfum entêtant mais sans additifs. Dans ce doux voyage en Italie où se poursuivent sereinement les broderies inactuelles de son cinéma, Eugene Green célèbre les noces du passé et de la jeunesse, comme deux sensualités qui se revivifieraient l’une par l’autre. De quoi donner une nouvelle sève, même aux plus vieux bourgeons.

La Sapienza

Eté: Mad Max: Fury Road (George Miller) / Inherent Vice (Paul Thomas Anderson)

Deux étés sans bords, aux climats radicalement différents. Le premier brûle sous un soleil littéralement infernal, qui fait luire la mécanique et les corps ensemble dans un chaudron de rage formelle absolument sidérante. Le second est un fantôme d’été (celui d’amour où s’étaient refermées les sixties américaines), le déclin infini d’une saison transformée en brume mentale et où perce, discret, un vague dernier rayon de soleil. D’ailleurs: c’est un film d’été dont la plus belle scène se joue sous la pluie.

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INHERENT VICE

Automne : Mia madre (Nanni Moretti)

Difficile de faire plus automnal que ce film où, doucement, le monde se dérobe à l’appel d’un deuil annoncé. Avec ce ballet d’ombres en plein jour, Moretti réalise un film à la fois plus complexe et plus limpide que La Chambre du fils, dont Mia madre n’est que faussement jumeau. Les feuilles mortes s’y ramassent à la pelle, en attendant « demain ».

Mia madre

Hiver : Le Pont des espions (Steven Spielberg)

Le plus beau personnage de l’année porte un manteau d’hiver. Normal: c’est un film de guerre froide. Mais si, de Brooklyn à Berlin Est, Tom Hanks se tient droit dans son manteau, ce n’est pas seulement parce qu’il fait froid: c’est que Spielberg l’a habillé d’une noblesse d’âme oubliée depuis longtemps dans les vestiaires du cinéma hollywoodien classique. Gentleman Tom, roi de l’hiver.

Le pont


Top rédacteurs :

Sébastien Bénédict

Printemps : Les 1001 nuits
Eté : Mad Max
Automne : Réalité
Hiver : Le Pont des espions

Louis Blanchot

Printemps : Star wars – le réveil de la force
Été : Inherent Vice
Automne : Mia Madre
Hiver : Foxcatcher

Amélie Dubois

Printemps : La Sapienza
Été : Mad Max
Automne: Mia madre
Hiver : Phoenix

Murielle Joudet

Printemps : Hill of freedom
Été : Inherent Vice
Automne : Mia Madre
Hiver : Le Pont des espions

Jérôme Momcilovic

Printemps : Fatima
Été : Mad Max
Automne : It follows
Hiver : Le Pont des espions

Guillaume Orignac

Hiver: À la folie
Printemps: Jauja
Été: Mad Max
Automne: Mia Madre

Yal Sadat

Printemps : Love and mercy
Été : Inherent Vice
Automne : It follows
Hiver : Foxcatcher

5 COMMENTAIRES

  1. « Plutôt qu’un top 10 comme il en pousse désormais sur le moindre compte Facebook ». Serieux? La critique, c’est reserve aux pros comme vous?

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