Initiée spécialement pour le film, cette tournée « too much » captée par Emilie Jouvet réunit un casting de performeuses déchainées qui vaut d’abord comme une épatante galerie de personnages : la brunette aux airs juvéniles Judy Minx, la mutante Made Kate, la piquante Madison Young, la pédagogue Sadie Lune, la lunaire androgyne Dj Metzgerei et la très fifties Wendy Delorme, figure du militantisme queer et co-instigatrice du projet (lire son interview dans Chronic’art #72, en kiosques). Le but de la démarche : mettre en lumière une certaine scène underground qui place les corps et la sexualité lesbienne au cœur de ses spectacles, sur un axe féminisme pro-sexe / new burlesque. Manière de joindre l’utile – un discours féministe lipstick éducatif hérité à la fois de Judith Butler et Annie Sprinkle – à l’agréable – des shows débordants d’imagination. Le résultat déploie un univers hybride et ludique, mêlant l’onirique, le porno, le cours d’anatomie (journée portes ouvertes pour l’utérus de Sadie), la transe techno-pop.

Les filles, donc, sont aux commandes et au coeur du film, et c’est suffisant pour voir en Too much pussy une sorte d’anti-Tournée idéal, loin de l’égocentrisme voire de la condescendance d’Amalric qui reléguait souvent ses girls à un rôle de faire-valoir exotique. Règne dans cette tournée un bel esprit démocratique, chaque artiste existant à la fois individuellement et en groupe (équilibre rarement atteint), sans rivalité mais plutôt avec un sens très sexuel de la fraternité. Le montage alterne leurs numéros (toujours renouvelés) sur différentes scènes underground d’Europe, livrant de beaux instantanés de la vie de tournée et de courtes scènes de sexe plus fictionnalisées qui apparaissent comme un prolongement cinématographique des performances. Les maladresses (répétitions, problèmes de rythme, parenthèses fictionnelles un peu boiteuses) sont dérisoires face à l’énergie énorme déployée par le film, porté par un vent de liberté qui, soulevant gaiement les jupes de filles sans culottes, balaie avec une belle légèreté les conventions sexuelles et fouette comme un coup de cravache. Le talent d’Emilie Jouvet est de capter avec sensibilité et endurance ces débordements incessants, cette électricité revigorante et cette chaleur vraiment attachante qui émane du groupe. Le sentiment de communion n’est jamais aussi fort et émouvant que dans les moments de rituels quasi religieux, comme la scène d’au revoir à Madison Young, tout en caresses maternelles, ou le finale eucharistique durant lequel les performeuses mangent chacune un morceau de l’oeuf dur « pondu » par l’une d’entre elles. A venir, en DVD : une version backstage porno de la tournée au titre parfait, Much more pussy !