La famille des happeneurs américains n’en finit plus de s’étoffer. Outre Morgan Spurlok et ses expériences alimentaires, voici Chris Smith, Dan Ollman et Sara Price, trio filmant les Yes men, communauté d’alter mondialistes espiègles, croisements rêvés de Laurent Baffie et du leader d’Attac. A savoir, une connaissance du politique qui dépasse (du moins en apparence) la pédagogie simplette de Michael Moore et un humour réversible s’adaptant aussi bien à la moquerie expérimentale qu’à l’autodérision. Le film nous raconte que les deux maillons forts du collectif, Andy Bichlbaum et Mike Bonanno, s’étaient déjà illustrés en matière de délires revendicatifs avant de faire cause commune. L’un intervertissait les voix des Barbies et des Gi Joe dans les supermarchés tandis que l’autre tapissait un jeu vidéo d’action de figurants gays s’embrassant à pleine bouche.

Politique du détournement donc, qui gratouille à plus grande échelle lorsque les deux zigotos dynamitent le site web de Bush lors des présidentielles 2000, lui adjoignant une sorte de reflet parodique. Même charte graphique, même adresse ou presque, en s’immisçant insidieusement dans les failles du système, la provocation s’adresse autant aux pro-républicains qu’aux anti. Renouvelé au FMI, la confusion est encore plus fructueuse. Le tandem reçoit de nombreuses propositions d’organisations croyant s’adresser au FMI et y répondent parasitant des colloques, éructant des infos aussi farfelues (la dissolution du FMI pour un monde meilleur et plus juste) qu’ultra violentes (remettre l’esclavage au goût du jour). Ce raffinement dans un dispositif au service d’un esprit ouvertement malin allège la gravité de la revendication. Et même si Michael Moore chaperonne le film de sa présence, The Yes men se passe très bien de ses explications psychodramatiques sur le sale état du monde.

Ici, le canular est autant revendicateur que pris pour ce qu’il est : un sujet à jouissance, fou rire et poufferies narquoises. C’est tout du moins ce que préfère montrer la triplette de cinéastes. Leur film épouse la mise en place des traquenards à la manière d’un film de casse : exposition des préparatifs, où l’on voit les Yes men comme une société secrète aux ramifications multiples (le correspondant à Paris, le costumier d’Hollywood), distillation savante des informations concernant les « coups ». Le résultat est à la mesure des actions de la joyeuse organisation : le délire se prend toujours au sérieux, le décryptage du capitalisme est aussi pointilleux dans sa forme que superficiel dans le fond. Heureusement que la caméra se cantonne davantage à l’observation sociologique, filmant les auditoires comme une masse molle, abêtie par la discipline policée, cantonnées à applaudire vaguement à un plaidoyer pour l’esclavage ou s’étonner sans grande émotion d’un phallus géant présenté comme l’atout futur du patronat. La grande force et la limite d’un film assez complaisant avec lui-même : on se marre en coulisse, on ricane mais on ne se révolte pas plus que ça.