Retour en force : après le bad trip The Fountain, la promesse d’accalmie de The Wrestler – plus carré, moins barré – remet les idées au clair. Si la simplicité du traitement de cette variation carnavalesque sur le mythe des vieux héros fatigués (la trame évoque un Rocky Balboa revu à la sauce Superstars du catch) touche en plein coeur, c’est qu’Aronofsky y fait briller comme jamais les deux singularités de son cinéma. Incapacité à l’imaginaire tout d’abord : les séquences les plus pathétiques de The Fountain venaient de la contradiction à mêler conte philosophique et mise en scène d’un prosaïsme hirsute, confondant puissance du fantasme et illustration neuneu, mysticisme du récit et armada mal dégrossie d’effets spéciaux dignes d’un happening soldes chez Naturalia. Au contraire, le sujet même de The Wrestler se dégage de toute perspective onirique, les années 80 y étant comme transférées dans un aujourd’hui blafard et froid, une poche d’oubli social qui n’est pas sans rappeler les petits mondes reclus des Dardenne (le camping à la Rosetta où vit le héros, l’histoire d’amour archaïque et boiteuse avec la strip-teaseuse). C’est Randy, l’ex-terreur des rings, conjurant l’usure du temps et programmé pour faire comme si rien n’avait changé depuis ses années de gloire : le film ne le lâche pas d’une semelle, en un mouvement de fluidité et de linéarité qui s’accroche au présent dans un déni aveugle et entêté (géniale scène de la partie de jeu vidéo sur une console préhistorique). Comme dégraissé de sa propre mythologie (à l’inverse de la nostalgie simplette et des flashbacks de Rocky Balboa), le corps amnésique de Rourke trace sans se retourner, s’offrant comme une simple présence retrouvée, sans avenir ni passé. D’où la belle horizontalité du film, et l’idée magnifique qui en découle : lorsque Randy tente de s’élever vers les sommets de sa mémoire (la fameuse prise du bélier, seule trace de verticalité), ce n’est que pour annoncer sa dernière chute et s’écraser de plus belle.

L’autre face du cinéaste demeure son goût pour le mélodrame pur (réduit à une succession brute de séquences censées alourdir un peu plus le poids de gravité des précédentes), un fatalisme exacerbé et naïf qui a atteint son point de magnificence extrême avec Requiem for a dream. Exténuation, épuisement de toutes les ressources du présent : ce matérialisme et cette frontalité (chairs blessées et viande avariée ici, substances prohibées ou organiques ailleurs) ne sont pas sans une certaine grandeur pourvu qu’ils se raccordent à un projet cohérent de mise en scène. Aronofsky dresse l’étude faussement clinique, sans complaisance ni cynisme, d’un corps et de l’époque révolue à laquelle il semble lié par un étrange pacte faustien. Malédiction des années 80, donc, décennie de la gonflette et de la frime qui transformèrent ses machines à win boursoufflées (Stallone, Schwarzenegger, Rourke) en freaks promis à la casse sitôt éteintes les lumières du cirque. The Wrestler fait son horizon de cette casse : ses années 2000 hors du temps, sa mélancolie hivernale apparaissent comme une sorte de morgue des heures envolées. Dans cette perspective, le cinéaste joue sur la même infirmité que celle de son héros : sa caméra à oeillères (la belle intrigue secondaire de la fille de Randy, oubliée sitôt qu’elle disparaît des plans), en épousant l’avancée tubulaire du récit, renvoie dos à dos le combat et sa mise en scène, la fiction et le documentaire, le ring et la boucherie où travaille Randy. C’est à ce bel éclat de lucidité, cette manière d’aimer sans y croire – tout entière contenue dans la résignation du vieux Rourke soufflé comme un popcorn et rejeté par sa fille – que The Wrestler doit sa beauté aplanie : fiction-éclipse (sublime extinction du plan final) pour un mélodrame à l’admirable simplicité.