Après le décevant He Got Game et l’encourageant Summer of Sam, Spike Lee revient avec un sujet (trop) ambitieux qui entend engager une réflexion contemporaine sur les médias américains (et leur fonctionnement putassier) en convoquant le passé honteux de l’industrie américaine du spectacle. Ce passé qui a donné à voir une représentation négative et souvent raciste de la communauté noire américaine, notamment dans les fameux « minstrels shows », numéros de music-hall fort appréciés à la fin du XIXe siècle et dont la tradition fut reprise dès les premiers temps d’Hollywood avant d’être poursuivis sans scrupules à la télévision. Dans ces spectacles à vocation comique, les acteurs blancs se noircissaient le visage avec la suie d’un bouchon consumé et se maquillaient les lèvres de manière outrancière pour s’offrir au public blanc comme l’archétype caricatural du Noir esclave et soumis au maître. Plus tard, quand les acteurs noirs auront le droit de jouer « leur propre rôle » au cinéma, ils devront entrer dans cet ignoble jeu de la caricature, le seul espace de représentation autorisé par Hollywood.

C’est un sujet ambitieux donc, et passionnant aussi parce que méconnu du public -ou passé sous silence- et violemment politique : c’est ce qui a intéressé Spike Lee. Comme souvent chez le cinéaste américain, l’argument qui soutient la fiction à venir est une division à l’intérieur de la communauté noire. C’était le point de fuite dramatique de l’épopée Malcom X, la mort du leader venant de son propre camp. The Very black show ou comment Pierre Delacroix, responsable (noir) des programmes sur une chaîne de télévision américaine fait remonter l’audience en créant un spectacle satirique reprenant les recettes des « minstrels shows » d’hier. L’argument de Delacroix est limpide et il feint de ne pas en voir les présupposés troubles et douteux : ce qui était montré autrefois à partir d’un inconscient raciste intolérable peut être vu aujourd’hui grâce à une distance ironique et un second degré qui préservent son émission contre toute attaque. Le film raconte comment l’émission de Delacroix est un succès puis comment ce triomphe se retourne contre lui.

On voit bien que ce qui a motivé Spike Lee dans une entreprise aussi lourde : la possibilité de faire le procès de l’Amérique à partir de ce fond d’images fixé dans la mémoire du cinéma et que les médias d’aujourd’hui pourraient réutiliser à des fins commerciales avec le prétexte du second degré. Fantasme négatif certes mais qui a sa justesse : qui niera que le second degré est le mode publicitaire le plus corrosif à toute réflexion politique, une manière de nier le politique ? Hélas, le sujet, brûlot à souhait se retourne contre son auteur et les idées qu’il soulève finissent par s’alourdir à mesure que le film avance. C’est que Spike Lee a plus de talent pour poser les problèmes -scénaristiquement parlant- que pour les résoudre. De plus, le choix de filmer avec la fameuse DV, même si elle correspond à l’esthétique TV, nuit au propos du film. Les images sont souvent laides, les cadrages bâclés. The Very black show reste alors en mémoire comme un film à débat pour la télévision. Il aurait pu être davantage.