The Shade constituait dès le départ un projet risqué. Comment adapter une nouvelle (La Douce de Dostoïevski) ayant déjà inspiré un grand film (Une Femme douce de Bresson) ? Une question qui ne semble pas avoir embarrassé Raphaël Nadjari, tant son essai adopte une forme décomplexée, dans le refus du plan et de l’idée. Certes, cette construction flottante porte parfois ses fruits, notamment dans les séquences d’errance de l’héroïne, qui fonctionne sur la cinégénie des rues new-yorkaises et une musique assez envoûtante signée John Surman, jazzman de renom. Mais la plupart du temps, The Shade demeure stérile, dans l’attente vaine d’images susceptibles de faire sens.

Il faut dire que la prose de l’écrivain russe ne se prêtait pas aisément à la transposition cinématographique. Texte court mais foisonnant, La Douce se présente comme un récit subjectif, une plongée dans l’univers mental d’un prêteur sur gages qui vient de perdre sa femme. La sécheresse et l’intransigeance existentielle de cet homme -l’argent et la sécurité plutôt que le sentiment- ont en effet conduit celle qu’il aimait (sans le montrer) à se suicider. Alors, près de ce corps inerte qui attend d’être emporté, l’homme se souvient.

Là où Bresson parvenait à recréer l’étouffement du récit originel par la rigueur de la mise en scène, Nadjari se contente de l’illustrer de façon presque superficielle, convoquant davantage des archétypes que des figures fortes. Ainsi, le prêteur sur gages se révèle juif -on frôle la caricature- tandis que son épouse se caractérise par une futilité (voir la séquence des billets jetés en l’air) dénuée de l’essence mystérieuse si prégnante dans le livre et rendue à merveille par Dominique Sanda dans la version bressonienne. Les acteurs ne sont d’ailleurs pas à la hauteur de cette étrange passion tout en replis et en incompréhensions mutuelles. Et lorsque Nadjari attend visiblement d’eux un éclat, voire une proposition, rien n’émerge, ni dans le regard, ni dans la voix. Mais peut-être a-t-on oublié de nourrir leurs personnages de la substance nécessaire à toute improvisation réussie…