« Une dictature, c’est quand les gens sont communistes, qu’ils ont froid, avec des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair ! » Jolie définition, donnée par OSS dans Rio ne répond plus. Mis dans la bouche de Dujardin, ces prodigieux dialogues beaufs marquaient paradoxalement toute la finesse d’Hazanavicius. Mais devant The Search, on croirait qu’un OSS bas du front a fini par réellement prendre les commandes de son cinéma. Car « les chapeaux gris et les chaussures à fermeture éclair » gouvernent lourdement cet ambitieux mélo sur la seconde guerre de Tchétchénie, librement inspiré d’un Zinnemann méconnu (Les Anges marqués, 1948). D’autant plus ambitieux, d’ailleurs, que The Search marque le grand saut d’Hazanavicius vers le « vrai film » sans filet parodique : le brillant pasticheur de The Artist ôte enfin son costume 1920, histoire de voir quel cinéaste se cache vraiment sous la fringante redingote.

Pourtant, sa plongée à corps perdu dans l’épopée tragique – et la noyade qui s’en suit – ne semble pas vraiment tenir au désir d’aller contre la fantaisie de ses précédents films. C’est en fait la continuation logique de l’entreprise d’Hazanavicius, cinéphile solide dont la vista s’est toujours mise au service d’un noble objectif : transfigurer le cinéma par la cinéphilie, opérer la fiction popu avec le bistouri de la dramaturgie américaine classique. De fait, sous leurs airs rigolards, les OSS épousaient sans malice les élégants canons du serial d’espionnage, tout comme La Classe américaine et The Artist rejouaient Citizen Kane et Une Étoile est née. Une fois de plus, donc, il empoigne un genre « difficile », comme dit l’industrie locale, et se lance dans un mélo guerrier sans véritables héros (si ce n’est un gosse tchétchène quasi muet, recueilli par Bérénice Bejo en missionnaire de l’UE), avec une foi inébranlable dans les pouvoirs de la fresque oecuménique scénarisée by the book. On voit bien à quel moment chavire la barque : The Search superpose les signes du mélodrame à ceux du sérieux géopolitique, empile deux trames qui finiront par se nouer de façon prévisible (pendant que Bérénice veille sur le gosse, un troufion russe se laisse happer par la barbarie), finissant par broder un camaïeu de teintes grisâtres, en même temps qu’une autoroute de poncifs sur laquelle les bons sentiments ne croisent jamais les mauvais.

Hazanavicius ne voit pas que ces signes-là, qui sont autant de cartouches tirées pour répandre l’effluve poudreuse du pathos, se suffisent difficilement à eux-mêmes. Pour peu que l’empathie ne prenne pas avec Hadji, son Gavroche eurasien, le film s’effrite à vitesse grand V. À cette trop grande confiance dans la force des personnages, s’ajoute inversement une étrange forme de retenue stylistique. Un peu comme si l’auteur s’apercevait en cours de route qu’il manipulait une matière explosive, ayant réuni les éléments d’une prise d’otage en règles (histoire récente, orphelin fragile et humanitaires pataugent de concert dans la gadoue éthique) ; comme s’il décidait alors, pour éviter le massacre, de jouer sur du velours en s’imposant une certaine rétention. Au risque de renoncer peu ou prou à la mise en scène.

Le contraire semblait pourtant de mise. Quitte à s’élancer sur la piste des passions, belliqueuses ou philanthropes, Hazanavicius aurait sans doute mieux fait de viser ce que ses modèles (Zinnemann mais aussi Cukor, Vidor, Lean, Mankiewicz…) osaient sans vergogne devant un canevas tragique : travailler la monumentalité, jongler entre sombres auspices et radieuses éclaircies sans jamais craindre l’emphase, croire dur comme fer que la mise en scène a le pouvoir – et la mission – de galvaniser comme de faire pleurer dans les chaumières. Las, The Search s’empêtre dans l’intervalle, et disparait dans un no man’s land embrumé où le gigantisme de son sujet se heurte à sa pudeur d’auteur Français, trop conscient de lui-même pour s’accorder les transports nécessaires. Peut-être se souviendra-t-on au moins de The Search comme du moment où l’on comprit, en même temps que lui, que Michel Hazanavicius n’était pas (encore) un cinéaste américain.