Lancé depuis deux ans dans une infatigable course aux Oscars, Iñárritu file à la vitesse d’un cheval au galop pour compléter la collection de trophées qui trône dans sa maison californienne. Sa recette, elle, ne change pas, qui consiste à déguiser des opérettes souffreteuses en lourds opéras métaphysiques, en les rembourrant de tourments planétaires. Mais sa collaboration avec Emmanuel Lubezki, chef-opérateur attitré de Malick et de Cuarón, affiche désormais l’ambition de ventiler à l’hélium numérique ses balourdises mariachies. Cette perfusion de synthétique présente un double avantage pour son cinéma: d’une part, gonfler son lyrisme épique; d’autre part, accentuer sa palette réaliste. Et c’est bien l’apport essentiel des outils numériques, ces dernières années, que de faire circuler à double sens l’imaginaire et le réalisme : en renforçant le naturalisme du détail, cette nouvelle manière s’autorise à déplacer les limites figuratives du fabuleux. Dans cette orgie de chairs ensanglantées et de décors ravagés qui guide désormais la pompe hollywoodienne, il s’agit moins de dialectiser la représentation du réel et son spectacle, que d’en effacer la frontière, comme on efface celle du plan. Tout n’est plus que l’énorme coulée d’une seule et même image mouvante, un infini plan séquence qui, bardé de sa prétention à immerger le spectateur dans son réel de synthèse, suppose que la vie n’est qu’une modulation unitaire, impossible à cliver. Les hommes n’y sont plus que des programmes narratifs, figés dans leur conception.

C’est ainsi que dans The Revenant, simple récit d’une vengeance dans l’Amérique des trappeurs, le personnage interprété par Di Caprio se relève des morts pour traverser des paysages enneigés jusqu’à retrouver l’assassin de son fils, au fil d’une seule coulée temporelle, le temps d’une guérison qui semble comme filmée en un plan unique et scrutateur.  Soit l’inverse exacte de ce que faisait Georges Miller dans son dernier Mad Max. Il y a dans les naïvetés de cette manière comme un rêve de transparence du cinéma et des être (tiens, d’ailleurs, le personnage, qui a vraiment existé, s’appelle Glass) dont Iñárritu a décidé d’embrasser la cause, avec les subtilités qu’on lui connaît. Car à ce petit jeu du toujours plus immersif, la comparaison avec son compatriote Cuarón s’avère très vite sanglante. Là où le réalisateur de Gravity découvre progressivement son mélodrame par une mise en suspens régulière de ses images, une incertitude sur leurs grandes et petites finalités, tout chez Iñárritu semble se dévider comme une interminable pelote d’évènements dont on connaît déjà le terme.

On ne trouvera ainsi sous le masque formaliste d’une très grande liberté (caméra virevoltante circulant des visages aux paysages), qu’une minuscule mécanique de la souffrance. A cet égard, la prestation de Di Caprio n’est rien d’autre qu’une partouze de bave et de morve dans un Koh-Lanta glacé, soit la réduction caricaturale du personnage sulpicien façonné chez Scorsese. Tout le film frise ainsi la parodie des modèles qu’il se donne, entre Cuarón, donc, et le cinéma de Tarkovski ou d’Elem Klimov (un des comédiens ressemble d’ailleurs au jeune Alexei Kravencko de Requiem pour un massacre). Cinéaste trop faible pour aller tordre de l’intérieur les petits rouages qu’il met en place, Iñarritu se démène alors comme à son habitude : il convoque des images externes à son récit, tisse une invraisemblable choucroute de rêves et de flash-backs où s’exprime son goût de l’imagerie publicitaire. En somme, se sachant sans idée de cinéaste, il vend son film de l’intérieur comme le champion du marketing qu’il a toujours été, avec quelques marmonnements sentencieux sur l’innocence des peuples amérindiens, la folie des hommes et, surtout, les inclinations sodomites des grizzly, dont Di Caprio a du mal à se relever. On voit déjà le cinéaste, aux prochains Oscars, descendre de son cheval pour aller récolter le fruit de ce cinéma aux paupières lourdes, avant de remonter sur son increvable canasson, en route pour de nouvelles bourrinades. Et c’est ainsi qu’Hollywood croit encore faire sonner ses trompettes. 

5 COMMENTAIRES

  1. Attention, il y a écrit sulspicien, au lieu de sulpicien. J’ai du mal à comprendre le sens de l’utilisation de l’adjectif pour parler de Di Caprio chez Scorsese.

  2. Oui je suis d’accord avec une partie de la chronique, mais il faut parfois savoir tempérer ses ardeurs rhétoriques et faire preuve de plus de modestie, parce que « sulpicien » comme « sulspicien » n’ont absolument rien à faire dans ce texte.

Comments are closed.