The Raid s’employait à réanimer, à coups d’uppercuts bien sentis, le cinéma HK disparu des radars à l’orée des années 2000. Un film, un programme, dans la plus pure tradition du jeu vidéo : prendre d’assaut un building, arriver jusqu’au boss et dézinguer tout ça. De quoi reformuler (un peu) le cinéma d’action pur et dur, mélanger sans fausse note véritable le programme du jeu vidéo et celui du cinéma d’action US jadis formulé par McTiernan : soit un Piège de cristal bourrin qui faisait oublier par son extrême violence et son retour salutaire aux fondamentaux (de l’action, rien que de l’action), un léger sentiment de déjà-vu. D’où la nécessité de creuser assez le sillon pour gagner en ampleur, cette fois du côté de Scorsese : ce sera un reboot de film d’infiltration, 2 heures 30 en lieu et place d’un petit nerveux ramassé qui dépassait à peine l’heure et demie de rigueur. Pour ce faire, continuer cependant de suivre Mc Tiernan en élargissant cette fois le terrain d’action aux dimensions d’une ville, et le tour est joué. Mais un tour s’apprend, et The Raid 2 montre autant d’énergie brute en aval que de savoir-faire en amont. C’en est même la recette, plutôt efficace : mélanger la chorégraphie avec les poings qui font mal, la danse et l’ultraviolence. Autrement dit adieu les câbles, laissés généreusement à Tsui Hark – lui seul sut et sait encore quoi en faire. Et bienvenue à Fist of Legend (1994 déjà), qui devant la caméra de Gordon Chan rejouait le légendaire Fist of Fury (1972, sans doute le meilleur Bruce Lee) en délestant Jet Li de ses filins trop pratiques.

Ça saigne et l’on a mal, pourtant la danse prend sans cesse le dessus, d’abord parce que les scènes de combat y sont préservées dans leur intégrité par des plans-séquences, quand cela est possible. L’action souveraine peut alors s’y déployer dans la durée autant que dans l’espace, sans jamais buter sur le cadre ou la collure, donc sans autre limite que celles des corps – à charge pour le cadreur de se montrer aussi véloce qu’un arbitre sur le ring. Tout le reste est affaire de rythme, les coupures ne sont là que pour imprimer son groove entêtant à l’ensemble. Et sur 2 heures 30 de temps, force est de constater que The Raid 2 fait assez fort. Le scénario y est certes pur prétexte à des coups donnés sans prévenir ; c’est d’abord un programme. Lequel est sitôt formulé que mis à exécution, chaque scène à faire trouvant dans un lieu dédié son théâtre idéal, depuis longtemps arrêté dans la mémoire du genre (un chemin de terre parmi les champs, une prison sans loi, une boîte de nuit, un restaurant, jusqu’aux lieux les plus ramassés – une rame de métro, une voiture, des toilettes).

Le reste n’est qu’affaire de mise en scène. C’est le plus souvent du « un contre un », avec des variantes. Un contre un, parce qu’il faut bien sacrifier au réalisme (lequel n’a que peu à voir avec l’action) : chacun attend sagement son tour avant de se faire dézinguer par notre héros. Lequel, un flic infiltré revenu du premier film (Iko Uwais), doit venger son frère, remonter la filière, redorer le blason de la police, retrouver sa femme et son fils, le tout avec un minois d’enfant figé dans ses rêves de joueur de console. Il s’agit cette fois de poursuivre sa quête jusqu’à la tête de l’hydre et de substituer à un élan vertical (l’immeuble initial), les ramifications familiales et internationales (Indonésiens vs. Yakusas) de plusieurs organisations déployées dans toute la ville. Le sel, ce sont donc les variations : mettez par exemple, dès le début, le héros aux toilettes. Faites-le attendre quelques minutes, puis jetez sur lui une trentaine d’assaillants, le temps de défoncer la porte. Il garde pour lui l’espace confiné et se met à fighter tout ce beau monde sans l’ombre d’un effort, sinon pour la frime. La mise en scène y tient alors à l’utilisation pour le moins judicieuse du décor : comment battre un colosse et/ou une multitude ? Il suffit de raréfier l’espace de leur déploiement et vous aurez pleinement le dessus.

Un peu plus loin, maintenant. Vous aimez les saillies gore ? Ces éjaculations idoines qui font se rejoindre idéalement le sexe et la violence ? Une méga-baston dans la boue d’une cour de prison vous donnera votre comptant. La pluie tombe, les coups pleuvent, y compris à l’arme blanche. Cette fois, la multitude et la boue empêchent l’action d’avoir un centre, à partir duquel déployer son rayonnement sans lâcher l’attention du spectateur. La scène, au contraire, laisse la violence se répandre sans retenue d’un corps à l’autre, sans plus rien qui ne permette de distinguer les bons des méchants. Fort de ce premier rassemblement d’énergie, le film attend tranquillement la prochaine salve. Il opère ainsi, de suspense en déflagration, avec cette science putassière (donc jouissive) que détiennent les meilleurs films d’action. Parfois, la logique chorégraphique laisse voir ici ou là un coup de pied arrêté, comme un vertige de capoeira qui donne à l’ensemble une parenté sanglante avec le meilleur des films dansés. The Raid 2 invente ainsi son équilibre dans un aller-retour, entre la grâce et le coup de grâce, l’enlacement suspendu des corps synchronisés et leur soudaine séparation sous la violence des coups portés. Soit l’enivrant cocktail du cinéma d’action comme on l’aime depuis toujours : d’un côté un carnaval assumé de maints trucs et astuces, de l’autre le moment venu où l’on ne fait plus semblant.