Les films de l’envergure de The President’s last bang sont rares. Prenez Caché cette semaine, témoin d’un cinéma psychorigide rêvant de contenir le monde en son sein et qui n’entre finalement en résonance qu’avec lui-même, petite fable pingre et vaniteuse des limites de sa propre fiction. En Corée, l’industrie des images ne s’est pas encore scindée en de telles extrémités, cinéma d’en haut ou d’en bas, d’auteur ou commercial, leçon de choses ou de technique. Le film d’Im Sang-soo le confirme de la même façon que le faisait Memories of murder en 2004, en s’installant dans les rails du cinéma de genre pour en tirer un rendement maximum : vision ample et panoptique d’une histoire, celle de la fin tragique du règne du dictateur Park Chung-hee, en 1979, et mise en scène d’un événement entouré aujourd’hui encore de nombreuses zones d’ombre.

Le double pari du film est donc historique et politique. Historique car il nécessite de la part d’Im Sang-soo de jouer sur le fil de la provocation, en s’attachant à décrire un événement traumatique national situé dans un passé relativement récent, loin de la distance critique qui entoure aujourd’hui, pour filer le parallèle avec Haneke, un thème pourtant aussi épineux en France que la guerre d’Algérie. La force de The President’s last bang est là : dans sa manière de présenter des événements de manière frontale, dans une relative transparence, exactement comme si Caché avait été réalisé dans les années 1970. Toute la différence se situe évidemment dans ce rapport à un passé récent intégré ou non à l’histoire officielle. Pour Haneke, pas le moindre risque et l’assurance tranquille de se poser en garant, notaire ou petit professeur d’histoire au mépris bon teint. Pour Im Sang-soo, danger au contraire de voir son film privé de sortie (il est tout de même amputé de son ouverture et de son épilogue, images d’archives du vrai président Park) et de se poser en brûlot vis-à-vis de l’histoire officielle. Un assis contre un debout, en somme.

La question politique est bien sûr comprise dans cette mise en perspective historique, mais pas seulement. Il y a dans President’s last bang l’envie de mettre en scène l’Histoire, de la soumettre littéralement aux règles d’un genre, le thriller politique, dont on sait à quel point il est aujourd’hui inexistant en France. Ainsi le cinéaste filme-t-il toute la dernière soirée du Président, avant son assassinat par son confident, responsable de la CIA coréenne, à la manière d’une implacable mécanique, ramenant par cet usage contrôlé de figures imposées (préparation et montée en tension qui rappellent le sublime Mishima de Paul Schrader) à une confiance absolue dans la force pleine et entière du cinéma et dans les choix qu’il nécessite. La réalisation joue d’une précision, d’une souplesse et d’une musicalité exceptionnelles, unité de temps et de lieu et pénétration dans un espace intime en forme de métaphore du pouvoir. Précision documentaire et farce se donnent la main, description virtuoses des réseaux d’amitiés ou flottement coloré (femmes, alcool, euphorie tranquille de la puissance) de la pourriture d’Etat au travail. Chef-d’oeuvre.