Eléonore, héroïne très volatile, parcourt les rues de New York en chipant à peu près tout ce qui passe, sac à mains, fruits, voitures, animaux, etc. La danse habile du pickpocket de Bresson revient ici dans les pas de cette petite voleuse sans gêne sauf que sa technique est tout l’inverse : pas de dissimulation, le larcin est un libre service en plein jour, quitte à taper la bise à sa victime.

Fantaisiste, enfantin et libertaire, ce premier film a le jeu pour mot d’ordre. Il sautille au rythme de son personnage, cueille au passage les bizarreries du réel, et rejoint dans sa légèreté et son art de l’ellipse le cinéma Nouvelle Vague et la tradition new yorkaise de l’underground home made. Un peu brouillon parfois et mal foutu, bricolage oblige : c’est le charme du fait main. Safdie cultive l’imperfection burlesque dans la maladresse de ses personnages qui filent en cahots de New York à Boston au cours d’un road movie auto-école. La caméra, comme l’héroïne, papillonne, se laisse distraire par une silhouette, une mouche, une idée qui passe par la tête. Dans la pure immédiateté, le film volette à sa guise, bricole son chemin sans se soucier des conventions narratives ni de la dramatisation.

Qu’on ne s’y trompe pas, rien de documentaire là dedans. On glisse progressivement du réalisme vers le merveilleux. Peu à peu, de chats en sac à ours en peluche, le film trace une voie vers le rêve à chaque coin de rue. Le fil poétique conduit d’une baignade avec un ours blanc à une tempête de neige puis un vol de papillons. Du merveilleux à l’inquiétant il n’y a qu’un pas. Une impression difficilement cernable émane de ce film apparemment tout à l’imaginaire enfantin. Fouineuse, emmerdeuse, entêtée et moqueuse, Eléonore, la très mobile Eléonore Hendricks, amène un malaise troublant lorsque brusquement sa désinvolture tourne à l’insistance et sa légèreté à la fébrilité. Un vacillement de folie nuance la fantaisie et rappelle le très étrange et new yorkais Frownland de Ronald Bronstein. Décrochages, absences, silences, gros plans sur le visage soudain arrêté, solitude dérobée, The Pleasure of being robbed avance à deux vitesses, entre l’exubérance excessive et le repli marginal. On se laisse ravir avec plaisir et on attend le prochain tour du cinéaste, coréalisé avec son frère Bennie (et joué par Ronald Bronstein), sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs 2009.