Un an presque jour pour jour après la sortie de Sleepy Hollow, Christina Ricci et Johnny Depp forment de nouveau un couple sur nos écrans. Un couple plus sombre que glamour dont l’inépuisable et mystérieuse cinégénie pourrait continuer sans nous lasser à hanter un film chaque année. On verrait ainsi nos deux mavericks vieillir côte à côte, au gré des personnages et des réalisateurs. Mais ces retrouvailles rituelles et fantasmées se fêteraient avec plus ou moins de bonheur. Et aujourd’hui ça serait plutôt moins, le millésime Ricci/Depp 2001 faisant pâle figure comparé au précédent. Etrange film que ce Man who cried, inattendu en tout cas de la part de la cinéaste britannique Sally Potter, qui nous avait habitués à des objets plus décalés, dont une adaptation très libre et assez arty (ficielle, pourrait-on ajouter) de l’Orlando de Virginia Woolf. Un long métrage qui ne manquait pas de surprises puisqu’on pouvait y croiser, entre autres guest stars mémorables, un Jimmy Sommerville poussant la chansonnette, fier barde naviguant près d’une garden party intemporelle.

Là, on se marre beaucoup moins, le sujet n’étant pas franchement compatible avec une apparition miracle de l’ex-leader des Bronski Beat. Il y est en effet question de quête paternelle sur fond de Seconde Guerre mondiale. En 1927, Fegele (Christina) est encore une enfant lorsque son père quitte la Russie pour les Etats-Unis dans l’espoir d’y trouver paix et prospérité. Son village basculant dans la violence, elle fuit elle-même le pays et débarque en Angleterre où elle est rebaptisée Suzie et placée dans une famille d’adoption. Or, Suzie/Fegele a un don : sa voix est d’une exceptionnelle pureté. Avec sa copine russe (Cate Blanchett, insupportable), la petite fille devenue adulte n’a toujours pas oublié son père et finit par s’établir à Paris où elle s’entiche d’un beau tzigane (Johnny). Mais en ces temps d’Occupation, une juive plus un gitan, ça pose problème…

Les expérimentations de Miss Potter ont été mises au placard suite à cet appel des sirènes hollywoodiennes. En guise d’effets, on se contentera donc de ralentis hideux destinés à souligner la volonté « lacrymogène » d’un récit chargé en pathos. De toute façon, le conformisme est de mise, et rien n’échappe ici à l’imagerie ou au déjà-vu : la résistance de la pensée face au fascisme ambiant, la séduisante opacité de l’étranger, l’initiation de la jeune vierge aux plaisirs de la chair… Tout ça pêle-mêle, sans discours, sans regard, et sans un poil de mise en scène. The Man who cried reste cependant visible grâce à nos deux vedettes et à une musique envoûtante signée Osvaldo Golijov, ex-collaborateur du fameux Kronos Quartet. On peut cependant espérer que Christina et Johnny choisissent un meilleur scénario pour l’an prochain…