Le film commence avec une recherche Google : « Lebanese rockets », tape sur son écran la cinéaste. Une première recherche Google, avant de partir en quête de témoins (envoi de mails, émission de télé à laquelle la notoriété libanaise de Joreige et Hadjithomas leur permet d’accéder). A l’origine, il y a la découverte que le Liban avait lui aussi, dans les années 60, développé son programme de conquête spatiale. Le film retrace les détails de l’enquête, mais ne s’arrête pas là : au-delà de l’enquête, le geste se prolonge, d’une manière qui ne manque pas d’évoquer deux autres documentaires récents, l’un qui partait sur la trace du cinéma khmer des années 60 (Le Sommeil d’or, de Davy Chou), l’autre d’un chanteur oublié (Suger Man, de Malik Bendjelloul). The Lebanese Rocket Society, à son tour, explore les limbes, ramène ici une entreprise nationale qui a fait long feu. Entre ces trois films, circule, outre la volonté mi-nostalgique, mi-joyeuse, de faire revivre un épisode historique, un même désir d’intervention sur leurs sujets. Lorsque Davy Chou retrouve quelques vestiges des films cambodgiens en question, il les montre à de jeunes étudiants en cinéma, qui en discutent et, peut-être, s’en inspireront pour leurs travaux futurs. Quand les enquêteurs de Sugar Man retrouvent la trace de Rodriguez, c’est pour lui faire rencontrer ses fans sud-américains et relancer sa carrière.

 

Depuis le début de leur carrière, Hadjithomas et Joreige oscillent entre le documentaire et l’art contemporain, l’histoire (fut-elle contemporaine : Je veux voir) et le dispositif, à la limite du happening par endroits. Dans The Lebanese Rocket Society, l’intervention prend la forme d’une relance, fut-elle symbolique (une fusée-statue à installer au milieu de l’université), du programme exhumé par le film. La mémoire, chez les deux cinéastes, n’a jamais été qu’une étape, certainement pas une fin en soi. Rien de commémoratif ici : le passé n’est retrouvé que pour être interrogé, et pour interroger l’avenir à travers lui.

 

Reste un autre virage, plus inattendu encore, négocié à l’occasion d’un finale assez stupéfiant. Après le documentaire puis l’installation/happening, le film tente une uchronie en animation, aux frontières de la science-fiction. Que se serait-il passé si les acteurs du projet avaient persévéré, si le programme était arrivé à son terme ? Et les cinéastes d’imaginer une sorte d’utopie technophile qui les amène à penser une nouvelle politique énergétique (!), une nouvelle société (!!), pourquoi pas la rencontre avec d’autres êtres pensants (!!!). Ce goût pour les dispositifs un peu fous pourrait paraître bien théorique, si les films d’ Hadjithomas et Joreige ne remettaient constamment sur le tapis les questions de la mémoire et de la reconstruction (se souvenir/avancer : l’alternative était déjà au cœur du très beau A Perfect Day), pour leur apporter chaque fois des réponses fines, mesurées, jamais dogmatiques. On assiste là, sans aucun doute, à l’élaboration d’une œuvre riche, complète, et qui a par ailleurs l’élégance de se déployer avec humour et légèreté.