De réalisateur opportuniste insupportable de lourdeur et d’arrogance, Michael Winterbottom est tombé en quelques mois dans une douce indifférence, au point qu’on ne sourcille pas à l’idée de le voir adapter du Jim Thompson. Loi du moindre mal oblige, The Killer inside me, énième polar tiré de l’oeuvre de l’auteur mythique, est d’emblée moins irritant que les prétextes world sensationnalistes (In this world, The Road to Guantanamo) qui gonflent habituellement la baudruche winterbottomienne – le scénario est trop carré pour filmer autre chose, à côté, ce qu’aime tant faire le cinéaste par vice (quand il se la raconte) ou par faiblesse (quand il ne sait ni quoi, ni comment faire). L’histoire raconte la vie d’un shérif psychopathe à bonne bouille dans une bourgade texane des années 50. Le film épouse son point de vue : une voix off révèle ses considérations amusées, façon journal de bord, tandis que la caméra ne le lâche pas d’une semelle, montrant ici ses parades amoureuses, là son parcours sanglant.

Tenu en laisse, le film déroule, liant comme attendu le sexe et la mort, n’oubliant pas d’en rajouter une couche sur l’atmosphère et l’arrière-plan : rednecks pervers, pépées bovariesques, bled gorgé d’ennui et étouffant sous le cagnard, tout le grand bestiaire du polar et les conventions du genre où Winterbottom se complaît visiblement. Et aussi : les meurtres, évidemment, limites claires du film, climax desséchés où l’académisme du cinéaste a la vertu de s’effacer devant l’imaginaire souverain de Thompson. Ce syndrome d’efficacité minimum n’est pas si commun. D’ordinaire, ou bien la mise en scène déforme ou gâche le matériau de base, ou bien elle le sublime. Ici elle s’en tient à le préserver du pire, à en détourer les forces avec une indéniable délicatesse. Le lynchage de Jessica Alba, saisi en quasi plan séquence, est emblématique : malgré la platitude de l’image – coups et blessures en gros plans éructant, bruités comme un jeu vidéo -, la perversité intacte de l’écriture (la victime, croyant jusqu’au bout à une mise en scène, est convaincue que le calvaire va s’arrêter) maintient le récit sous tension. Seule l’époustouflante interprétation de Casey Affleck, tout en voix traînante et arrogance de premier de la classe, suscite un regret : que le film ne soit pas à sa hauteur.