Traqué par une armée d’agents féroces, un jeune écrivain tente de dévoiler un secret d’Etat lié avec une guerre imaginaire au Moyen-Orient. Avec ses gros doigts satiriques (Irak, Afghanistan), sa manière de moquer les manigances du Pentagone à coups de clins d’oeil complaisants, The Ghost writer, thriller d’espionnage à tendance parano, prête le flanc à tous les rapprochements – toutes proportions gardées – avec la traque un peu grotesque à laquelle se livrent Polanski et la justice américaine depuis plus de vingt ans. L’actualité ne devrait pas manquer de donner un éclairage flatteur à ce film pourtant extrêmement mineur du maître polonais : fastoche. La satire est si peu originale (malgré un étincelant Pierce Brosnan en politicien miroitant d’ambiguité), les lignes du récit si téléphonées que le film ressemble par instants à une série B mal dégrossie – voire consternante lorsque le héros (Ewan McGregor en mode incolore, façon Ben Affleck) résout en quelques clics sur Google, dans une vieille chambre d’hôtel moisie, une affaire top-secret engageant la sécurité de l’Etat. On a connu Polanski beaucoup plus fort dans cette approche façon jeu de rôle pour ados tintinophiles (fluidité un peu folle, avancée niveau par niveau, avec à chaque séquence son objet, son indice, son personnage-clé) : le film s’appelait La Neuvième porte et titrait de cette facilité un pouvoir de fascination irréel et chef-d’oeuvral.

Il serait injuste de ne pas voir ce qui, ici, fonctionne à peu près de la même manière et relève de la tendance BD parano-ludique la plus échevelée du réalisateur : toutes les scènes isolées sur une île du bout du monde, dans la villa mystérieuse du politicien et de sa femme (où se rend le héros pour écrire une biographie explosive), sont chargées d’un puissant charme onirique. Le magnétisme polanskien y fonctionne à plein, et le film, bondissant de clichés en clichés (les documents planqués, la cabane de l’ivrogne, le meurtre de mauvais polar), progresse comme en une nuit de signes embrumée, avec une aisance un peu magique qu’il semble emprunter à quelque conte archaïque. La griserie esthétique procurée par ce décor des confins, la texture purement atmosphérique de la mise en scène (ciels d’acier, eau, vent, nappes de brouillard, lumières électrisantes, accents à couper au couteau), tout renvoie à la supériorité naturelle du cinéaste. Mais ce qui pourrait faire de The Ghost writer un beau thriller maritime de sous-main hitchcockienne (une sorte de Rebecca inversé) s’effondre un peu dans le dernier tiers, visiblement exécuté avec une arrogance aux limites du bâclage. Lorsqu’il se complaît ainsi dans son complexe de supériorité, le cinéma de Polanski révèle brutalement ses pires travers : son embourgeoisement un peu gauche, sa tendance maladive à une certaine laideur (la scène dans le motel moisi, vraiment impardonnable), son morne académisme déguisé en humilité d’artisan (tout le climax, torché comme une mauvaise fin de repas). Parfois aux limites de l’auto-caricature, The Ghost writer rappelle alors que le grand Polanski est loin de n’avoir réalisé que des grands films.